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mercredi, 26 novembre 2008

Entretien avec Günter Maschke (1991)

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Lande de Lünebourg (Allemagne)

 

Archives de "Synergies Européennes" - 1991

Entretien avec Günter Maschke

 

propos recueillis par Dieter STEIN et Jürgen LANTER

 

Q.: Monsieur Maschke, êtes-vous un ennemi de la Constitution de la RFA?

 

GM: Oui. Car cette loi fondamentale (Grund­gesetz)  est pour une moitié un octroi, pour une autre moitié la production juri­dique de ceux qui collaborent avec les vain­queurs. On pourrait dire que cette constitu­tion est un octroi que nous nous sommes donné à nous-mêmes. Les meilleurs liens qui entravent l'Allemagne sont ceux que nous nous sommes fabriqués nous-mêmes.

 

Q.: Mais dans le débat qui a lieu aujourd'hui à propos de cette constitution, vous la défen­dez...

 

GM: Oui, nous devons défendre la loi fon­damentale, la constitution existante car s'il fallait en créer une nouvelle, elle serait pire, du fait que notre peuple est complètement «rééduqué» et de ce fait, choisirait le pire. Toute nouvelle constitution, surtout si le peu­ple en débat, comme le souhaitent aussi bon nombre d'hommes de droite, connaîtrait une inflation de droits sociaux, un gonfle­ment purement quantitatif des droits fon­damentaux, et conduirait à la destruction des prérogatives minimales qui reviennent normalement à l'Etat national.

 

Q.: Donc, quelque chose de fondamental a changé depuis 1986, où vous écriviez dans votre article «Die Verschwörung des Flakhelfer» (= La conjuration des auxiliaires de la DCA; ndlr: mobilisés à partir de 1944, les jeunes hommes de 14 à 17 ans devaient servir les batteries de DCA dans les villes al­lemandes; c'est au sein de cette classe d'âge que se sont développées, pour la première fois en Allemagne, certaines modes améri­caines de nature individualiste, telles que l'engouement pour le jazz, pour les mouve­ments swing et zazou; c'est évidemment cette classe d'âge-là qui tient les rênes du pouvoir dans la RFA actuelle; en parlant de conjuration des auxiliaires de la DCA, G. Maschke entendait stigmatiser la propen­sion à aduler tout ce qui est américain de même que la rupture avec toutes les tradi­tions politiques et culturelles européennes). Dans cet article aux accents pamphlétaires, vous écriviez que la Constitution était une prison de laquelle il fallait s'échapper...

 

GM: Vu la dégénérescence du peuple alle­mand, nous devons partir du principe que toute nouvelle constitution serait pire que celle qui existe actuellement. Les rapports de force sont clairs et le resteraient: nous de­vrions donc nous débarrasser d'abord de cette nouvelle constitution, si elle en venait à exister. En disant cela, je me doute bien que j'étonne les «nationaux»...

 

Q.: Depuis le 9 novembre 1989, jour où le Mur est tombé, et depuis le 3 octobre 1990, jour officiel de la réunification, dans quelle mesure la situation a-t-elle changé?

 

GM: D'abord, je dirais que la servilité des Allemands à l'égard des puissances étran­gères s'est encore accrue. Ma thèse a tou­jours été la suivante: rien, dans cette réuni­fication, ne pouvait effrayer la France ou l'An­gleterre. Comme nous sommes devenus terriblement grands, nous sommes bien dé­cidés, désormais, à prouver, par tous les moyens et dans des circonstances plus cri­tiques, notre bonne nature bien inoffensive. L'argumentaire développé par le camp na­tio­nal ou par les établis qui ont encore un pe­tit sens de la Nation s'est estompé; il ne s'est nullement renforcé. Nous tranquilisons le mon­de entier, en lui disant qu'il s'agit du processus d'unification européenne qui est en cours et que l'unité allemande n'en est qu'une facette, une étape. Si d'aventure on rendait aux Allemands les territoires de l'Est (englobés dans la Pologne ou l'URSS), l'Autriche ou le Tyrol du Sud, ces braves Teu­tons n'oseraient même plus respirer; ain­si, à la joie du monde entier, la question allemande serait enfin réglée. Mais trêve de plaisanterie... L'enjeu, la Guerre du Golfe nous l'a montré. Le gouvernement fédéral a payé vite, sans sourciller, pour la guerre des Alliés qui, soit dit en passant, a eu pour ré­sultat de maintenir leur domination sur l'Al­lemagne. Ce gouvernement n'a pas osé exiger une augmentation des impôts pour améliorer le sort de nos propres compa­trio­tes de l'ex-RDA, mais lorsqu'a éclaté la guer­re du Golfe, il a immédiatement imposé une augmentation et a soutenu une action militaire qui a fait passer un peu plus de 100.000 Irakiens de vie à trépas. Admettons que la guerre du Golfe a servi de prétexte pour faire passer une nécessaire augmenta­tion des impôts. Il n'empêche que le procédé, que ce type de justification, dévoile la dé­chéance morale de nos milieux officiels. Pas d'augmentation des impôts pour l'Alle­ma­gne centrale, mais une augmenta­tion pour permettre aux Américains de massacrer les Irakiens qui ne nous mena­çaient nullement. Je ne trouve pas de mots assez durs pour dé­noncer cette aberration, même si je stig­ma­tise très souvent les hypo­crisies à conno­ta­tions humanistes qui con­duisent à l'inhu­ma­nité. Je préfère les dis­cours non huma­nistes qui ne conduisent pas à l'inhuma­ni­té.

 

Q.: Comment le gouvernement fédéral au­rait-il dû agir?

 

GM: Il avait deux possibilités, qui peuvent sembler contradictoires à première vue. J'ai­me toujours paraphraser Charles Maur­ras et dire «La nation d'abord!». Première possibilité: nous aurions dû parti­ciper à la guerre avec un fort contingent, si possible un contingent quantitativement su­périeur à ce­lui des Britanniques, mais ex­clusivement avec des troupes terrestres, car, nous Alle­mands, savons trop bien ce qu'est la guerre aérienne. Nous aurions alors dû lier cet engagement à plusieurs conditions: avoir un siège dans le Conseil de Sécurité, faire sup­primer les clauses des Nations Unies qui font toujours de nous «une nation ennemie», fai­re en sorte que le traité nous interdisant de posséder des armes nu­cléaires soit rendu caduc. Il y a au moins certains indices qui nous font croire que les Etats-Unis auraient accepté ces conditions. Deuxième possibilité: nous aurions dû refu­ser catégoriquement de nous impliquer dans cette guerre, de quelque façon que ce soit; nous aurions dû agir au sein de l'ONU, sur­tout au moment où elle était encore réticente, et faire avancer les cho­ses de façon telle, que nous aurions dé­clenché un conflit de grande envergure avec les Etats-Unis. Ces deux scénarios n'appa­raissent fantasques que parce que notre dé­gé­nérescence nationale et politique est désor­mais sans limites.

 

Q.: Mais la bombe atomique ne jette-t-elle pas un discrédit définitif sur le phénomène de la guerre?

 

GM: Non. Le vrai problème est celui de sa lo­calisation. Nous n'allons pas revenir, bien sûr, à une conception merveilleuse de la guer­re limitée, de la guerre sur mesure. Il n'empêche que le phénomène de la guerre doit être accepté en tant que régulateur de tout statu quo devenu inacceptable. Sinon, de­vant toute crise semblable à celle du Ko­weit, nous devrons nous poser la question: de­vons-nous répéter ou non l'action que nous avons entreprise dans le Golfe? Alors, si nous la répétons effectivement, nous créons de facto une situation où plus aucun droit des gens n'est en vigueur, c'est-à-dire où seu­le une grande puissance exécute ses plans de guerre sans égard pour personne et impose au reste du monde ses intérêts parti­culiers. Or comme toute action contre une grande puissance s'avère impossible, nous aurions en effet un nouvel ordre mondial, centré sur la grande puissance dominante. Et si nous ne répétons pas l'action ou si nous introduisons dans la pratique politique un «double critère» (nous intervenons contre l'Irak mais non contre Israël), alors le nou­veau droit des gens, expression du nouvel ordre envisagé, échouera comme a échoué le droit des gens imposé par Genève jadis. S'il n'y a plus assez de possibilités pour faire ac­cepter une mutation pacifique, pour amorcer une révision générale des traités, alors nous devons accepter la guerre, par nécessité. J'a­jouterais en passant que toute la Guerre du Golfe a été une provocation, car, depuis 1988, le Koweit menait une guerre froide et une guerre économique contre l'Irak, avec l'encouragement des Américains.

 

Q.: L'Allemagne est-elle incapable, au­jourd'hui, de mener une politique extérieure cohérente?

 

GM: A chaque occasion qui se présentera sur la scène de la grande politique, on verra que non seulement nous sommes incapables de mener une opération, quelle qu'elle soit, mais, pire, que nous ne le voulons pas.

 

Q.: Pourquoi?

 

GM: Parce qu'il y a le problème de la culpa­bilité, et celui du refoulement: nous avons refoulé nos instincts politiques profonds et naturels. Tant que ce refoulement et cette cul­pabilité seront là, tant que leurs retom­bées concrètes ne seront pas définitivement éliminées, il ne pourra pas y avoir de poli­tique allemande.

 

Q.: Donc l'Allemagne ne cesse de capituler sur tous les fronts...

 

GM: Oui. Et cela appelle une autre question: sur les monuments aux morts de l'avenir, inscrira-t-on «ils sont tombés pour que soit imposée la résolution 1786 de l'ONU»? Au printemps de cette année 1991, on pouvait re­pérer deux formes de lâcheté en Allemagne. Il y avait la lâcheté de ceux qui, en toutes cir­constances, hissent toujours le drapeau blanc. Et il y avait aussi la servilité de la CSU qui disait: «nous devons combattre aux côtés de nos amis!». C'était une servilité machiste qui, inconditionnellement, voulait que nous exécutions les caprices de nos pseudo-amis.

 

Q.: Sur le plan de la politique intérieure, qui sont les vainqueurs et qui sont les perdants du débat sur la Guerre du Golfe?

 

GM: Le vainqueur est inconstestablement la gauche, style UNESCO. Celle qui n'a que les droits de l'homme à la bouche, etc. et estime que ce discours exprime les plus hautes va­leurs de l'humanité. Mais il est une question que ces braves gens ne se posent pas: QUI décide de l'interprétation de ces droits et de ces valeurs? QUI va les imposer au monde? La réponse est simple: dans le doute, ce sera toujours la puissance la plus puissante. A­lors, bonjour le droit du plus fort! Les droits de l'homme, récemment, ont servi de levier pour faire basculer le socialisme. A ce mo­ment-là, la gauche protestait encore. Mais aujourd'hui, les droits de l'homme servent à fractionner, à diviser les grands espaces qui recherchent leur unité, où à dé­truire des Etats qui refusent l'alignement, où, plus sim­plement, pour empêcher cer­tains Etats de fonctionner normalement.

 

Q.: Que pensez-vous du pluralisme?

 

GM: Chez nous, on entend, par «pluralis­me», un mode de fonctionnement politique qui subsiste encore ci et là à grand peine. On prétend que le pluralisme, ce sont des camps politiques, opposés sur le plan de leurs Welt­an­schauungen, qui règlent leurs différends en négociant des compromis. Or la RFA, si l'on fait abstraction des nouveaux Länder d'Al­lemagne centrale, est un pays idéolo­gi­quement arasé. Les oppositions d'ordre con­fessionnel ne constituent plus un facteur; les partis ne sont plus des «armées» et n'exi­gent plus de leurs membres qu'ils s'en­ga­gent totalement, comme du temps de la Ré­pu­blique de Weimar. A cette époque, comme nous l'enseigne Carl Schmitt, les «totalités parcellisées» se juxtaposaient. On naissait quasiment communiste, catholique du Zen­trum, social-démocrate, etc. On pas­sait sa jeunesse dans le mouvement de jeu­nesse du parti, on s'affiliait à son association sportive et, au bout du rouleau, on était en­terré grâce à la caisse d'allocation-décès que les core­li­gionnaires avaient fondée... Ce plu­ralisme, qui méritait bien son nom, n'existe plus. Chez nous, aujourd'hui, ce qui do­mine, c'est une mise-au-pas intérieure com­plète, où, pour faire bonne mesure, on laisse subsister de petites différences mineures. Les bonnes consciences se réjouissent de cette situation: elles estiment que la RFA a résolu l'énigme de l'histoire. C'est là notre nouveau wilhel­mi­nisme: «on y est arrivé, hourra!»; nous avons tiré les leçons des er­reurs de nos grands-pères. Voilà le consen­sus et nous, qui étions, paraît-il, un peuple de héros (Hel­den),  sommes devenus de véri­tables marc­hands (Händler),  pacifiques, amoureux de l'argent et roublards. Qui plus est, la four­chette de ce qui peut être dit et pensé sans encourir de sanctions s'est ré­duite conti­nuel­lement depuis les années 50. Je vous rappel­lerais qu'en 1955 paraissait, dans une gran­de maison d'édition, la Deutsche Verlags-Anstalt, un livre de Wilfried Martini, Das Ende aller Sicherheit,  l'une des critiques les plus pertinentes de la démocratie parle­men­taire. Ce livre, au­jourd'hui, ne pourrait plus paraître que chez un éditeur ultra-snob ou dans une maison minuscule d'obédience ex­trê­me-droitiste. Cela prouve bien que l'es­pace de liberté intel­lectuelle qui nous reste se rétrécit comme une peau de chagrin. Les cri­tiques du sys­tème, de la trempe d'un Mar­tini, ont été sans cesse refoulés, houspillés dans les feuilles les plus obscures ou les cé­nacles les plus sombres: une fatalité pour l'intelligence! L'Allemagne centrale, l'ex-RDA, ne nous apportera aucun renouveau spirituel. Les intellectuels de ces provinces-là sont en grande majorité des adeptes exta­tiques de l'idéologie libérale de gauche, du pacifisme et de la panacée «droit-de-l'hom­marde». Ils n'ont conservé de l'idéologie of­ficielle de la SED (le parti au pouvoir) que le miel humaniste: ils ne veu­lent plus entendre parler d'inimitié (au sens schmittien), de con­flit, d'agonalité, et four­rent leur nez dans les bouquins indigestes et abscons de Stern­berger et de Habermas. Mesurez le désastre: les 40 ans d'oppression SED n'ont même pas eu l'effet d'accroître l'intelligence des op­pressés!

 

Q.: Mais les Allemands des Länder centraux vont-ils comprendre le langage de la réédu­cation que nous maîtrisons si bien?

 

GM: Ils sont déjà en train de l'apprendre! Mais ce qui est important, c'est de savoir re­pérer ce qui se passe derrière les affects qu'ils veulent bien montrer. Savoir si quel­que chose changera grâce au nouveau mé­lan­ge inter-allemand. Bien peu de choses se dessinent à l'horizon. Mais c'est égale­ment une question qui relève de l'achèvement du processus de réunification, de l'harmo­ni­sa­tion économique, de savoir quand et com­ment elle réussira. A ce mo­ment-là, l'Alle­ma­gne pourra vraiment se demander si elle pourra jouer un rôle poli­tique et non plus se borner à suivre les Alliés comme un toutou. Quant à la classe politique de Bonn, elle es­père pouvoir échapper au destin grâce à l'u­nification européenne. L'absorption de l'Al­le­magne dans le tout eu­ropéen: voilà ce qui devrait nous libérer de la grande politique. Mais cette Europe ne fonc­tionnera pas car tout ce qui était «faisable» au niveau eu­ro­péen a déjà été fait depuis longtemps. La cons­truction du marché inté­rieur est un bri­colage qui n'a ni queue ni tête. Prenons un exemple: qui décidera de­main s'il faut ou non proclamer l'état d'urgence en Grèce? Une majorité rendue possible par les voix de quelques députés écossais ou belges? Vouloir mener une poli­tique supra-nationale en con­servant des Etats nationaux consolidés est une impossi­bilité qui divisera les Européens plutôt que de les unir.

 

Q.: Comment jugez-vous le monde du con­servatisme, de la droite, en Allemagne? Sont-ils les moteurs des processus domi­nants ou ne sont-ils que des romantiques qui claudiquent derrière les événements?

 

GM: Depuis 1789, le monde évolue vers la gauche, c'est la force des choses. Le natio­nal-socialisme et le fascisme étaient, eux aussi, des mouvements de gauche (j'émets là une idée qui n'est pas originale du tout). Le conservateur, le droitier  —je joue ici au terrible simplificateur—  est l'homme du moin­dre mal. Il suit Bismarck, Hitler, puis Adenauer, puis Kohl. Et ainsi de suite, us­que ad finem. Je ne suis pas un conserva­teur, un homme de droite. Car le problème est ailleurs: il importe bien plutôt de savoir comment, à quel moment et qui l'on «main­tient». Ce qui m'intéresse, c'est le «main­te­neur», l'Aufhalter,  le Cat-echon  dont par­lait si souvent Carl Schmitt. Hegel et Sa­vi­gny étaient des Aufhalter  de ce type; en poli­ti­que, nous avons eu Napoléon III et Bis­marck. L'idée de maintenir, de contenir le flot révolutionnai­re/­dis­s­olutif, m'apparait bien plus intéressante que toutes les belles idées de nos braves conservateurs droitiers, si soucieux de leur Bildung.  L'Aufhalter  est un pessimiste qui passe à l'action. Lui, au moins, veut agir. Le conservateur droitier ouest-allemand, veut-il agir? Moi, je dis que non!

 

Q.: Quelles sont les principales erreurs des hommes de droite allemands?

 

GM: Leur grande erreur, c'est leur rous­seauisme, qui, finalement, n'est pas telle­ment éloigné du rousseauisme de la gauche. C'est la croyance que le peuple est naturel­lement bon et que le magistrat est corrup­ti­ble. C'est le discours qui veut que le peuple soit manipulé par les politiciens qui l'op­pres­sent. En vérité, nous avons la démo­cratie to­tale: voilà notre misère! Nous avons au­jour­d'hui, en Allemagne, un système où, en haut, règne la même morale ou a-morale qu'en bas. Seule différence: la place de la vir­gule sur le compte en banque; un peu plus à gauche ou un peu plus à droite. Pour tout ordre politique qui mérite d'être qualifié d'«or­dre», il est normal qu'en haut, on puis­se faire certaines choses qu'il n'est pas per­mis de faire en bas. Et inversément: ceux qui sont en haut ne peuvent pas faire cer­taines choses que peuvent faire ceux qui sont en bas. On s'insurge contre le financement des partis, les mensonges des politiciens, leur corruption, etc. Mais le mensonge et la cor­ruption, c'est désormais un sport que prati­que tout le peuple. Pas à pas, la RFA devient un pays orientalisé, parce que les structures de l'Etat fonctionnent de moins en moins correctement, parce qu'il n'y a plus d'éthi­que politique, de Staatsethos,  y com­pris dans les hautes sphères de la bureau­cratie. La démocratie accomplie, c'est l'uni­ver­salisa­tion de l'esprit du p'tit cochon roublard, le règne universel des petits ma­lins. C'est précisément ce que nous subis­sons aujour­d'hui. C'est pourquoi le mécon­tentement à l'égard de la classe politicienne s'estompe toujours aussi rapidement: les gens devinent qu'ils agiraient exactement de la même fa­çon. Pourquoi, dès lors, les politi­ciens se­raient-ils meilleurs qu'eux-mêmes? Il fau­drait un jour examiner dans quelle mesure le mépris à l'égard du politicien n'est pas l'envers d'un mépris que l'on cul­tive trop souvent à l'égard de soi-même et qui s'ac­com­mode parfaitement de toutes nos pe­tites prétentions, de notre volonté générale à vou­loir rouler autrui dans la farine, etc.

 

Q.: Et le libéralisme?

 

GM: Dans les années qui arrivent, des crises toujours plus importantes secoueront la pla­nète, le pays et le concert international. Le libéralisme y rencontrera ses limites. La pro­chaine grande crise sera celle du libéra­lisme. Aujourd'hui, il triomphe, se croit in­vincible, mais demain, soyez en sûr, il tom­bera dans la boue pour ne plus se relever.

 

Q.: Pourquoi?

 

GM: Parce que le monde ne deviendra ja­mais une unité. Parce que les coûts de toutes sortes ne pourront pas constamment être externalisés. Parce que le libéralisme vit de ce qu'ont construit des forces pré-libérales ou non libérales; il ne crée rien mais consomme tout. Or nous arrivons à un stade où il n'y a plus grand chose à consommer. A commen­cer par la morale... Puisque la morale n'est plus déterminée par l'ennemi extérieur, n'a plus l'ennemi extérieur pour affirmer ce qu'elle entend être et promouvoir, nous dé­bouchons tout naturellement sur l'implosion des valeurs...  Et le libéralisme échouera par­ce qu'il ne pourra plus satisfaire les be­soins économiques qui se font de plus en plus pressants, notamment en Europe orientale.

 

Q.: Vous croyez donc que les choses ne changent qu'à coup de catastrophes?

 

GM: C'est exact. Seules les catastrophes font que le monde change. Ceci dit, les catas­tro­phes ne garantissent pas pour autant que les peuples modifient de fond en comble leurs modes de penser déficitaires. Depuis des an­nées, nous savions, ou du moins nous étions en mesure de savoir, ce qui allait se passer si l'Europe continuait à être envahie en masse par des individus étrangers à notre espace, provenant de cultures radica­lement autres par rapport aux nôtres. Le problème devient particulièrement aigu en Allemagne et en France. Quand nous au­rons le «marché in­térieur», il deviendra plus aigu encore. Or à toute politique ration­nelle, on met des bâtons dans les roues en invoquant les droits de l'homme, etc. Ceci n'est qu'un exemple pour montrer que le fossé se creusera toujours davantage entre la capacité des uns à prévoir et la promptitude des autres à agir en con­séquence.

 

Q.: Ne vous faites-vous pas d'illusions sur la durée que peuvent prendre de tels processus? Au début des années 70, on a pronostiqué la fin de l'ère industrielle; or, des catastrophes comme celles de Tchernobyl n'ont eu pour conséquence qu'un accroissement générale de l'efficience industrielle. Même les Verts pratiquent aujourd'hui une politique indus­trielle. Ne croyez-vous pas que le libéralisme s'est montré plus résistant et innovateur qu'on ne l'avait cru?

 

GM: «Libéralisme» est un mot qui recouvre beaucoup de choses et dont la signification ne s'étend pas à la seule politique indus­triel­le. Mais, même en restant à ce niveau de po­litique industrielle, je resterai critique à l'é­gard du libéralisme. Partout, on cherche le salut dans la «dé-régulation». Quelles en sont les conséquences? Elles sont patentes dans le tiers-monde. Pour passer à un autre plan, je m'étonne toujours que la droite re­proche au libéralisme d'être inoffensif et inefficace, alors qu'elle est toujours vaincue par lui. On oublie trop souvent que le libéra­lisme est aussi ou peut être un système de domination qui fonctionne très bien, à la condition, bien sûr, que l'on ne prenne pas ses impératifs au sérieux. C'est très clair dans les pays anglo-saxons, où l'on parle sans cesse de democracy  ou de freedom,  tout en pensant God's own country  ou Britannia rules the waves.  En Allemagne, le libéralisme a d'emblée des effets destruc­teurs et dissolutifs parce que nous prenons les idéologies au sérieux, nous en faisons les impératifs catégoriques de notre agir. C'est la raison pour laquelle les Alliés nous ont octroyé ce système après 1945: pour nous neutraliser.

 

Q.: Etes-vous un anti-démocrate,

Monsieur Maschke?

 

GM: Si l'on entend par «démocratie» la par­titocratie existente, alors, oui, je suis anti-démocrate. Il n'y a aucun doute: ce système promeut l'ascension sociale de types hu­mains de basse qualité, des types humains médiocres. A la rigueur, nous pourrions vi­vre sous ce système si, à l'instar des Anglo-Sa­xons ou, partiellement, des Français, nous l'appliquions ou l'instrumentalisions avec les réserves né­cessaires, s'il y avait en Allemagne un «bloc d'idées incontestables», imperméable aux effets délétères du libé­ra­lisme idéologique et pratique, un «bloc» se­lon la définition du ju­riste français Maurice Hauriou. Evidemment, si l'on veut, les Alle­mands ont aujourd'hui un «bloc d'idées in­contes­tables»: ce sont celles de la culpabilité, de la rééducation, du refoulement des acquis du passé. Mais contrairement au «bloc» dé­fini par Hauriou, notre «bloc» est un «bloc» de faiblesses, d'éléments affaiblissants, in­ca­­pacitants. La «raison d'Etat» réside chez nous dans ces faiblesses que nous cultivons jalousement, que nous conservons comme s'il s'agissait d'un Graal. Mais cette omni­pré­sence de Hitler, cette fois comme cro­que­mitaine, signifie que Hitler règne tou­jours sur l'Allemagne, parce que c'est lui, en tant que contre-exemple, qui détermine les règles de la politique. Je suis, moi, pour la suppres­sion définitive du pouvoir hitlérien.

 

Q.: Vous êtes donc le seul véritable

anti-fasciste?

 

GM: Oui. Chez nous, la police ne peut pas être une police, l'armée ne peut pas être une armée, le supérieur hiérarchique ne peut pas être un supérieur hiérarchique, un Etat ne peut pas être un Etat, un ordre ne peut pas être un ordre, etc. Car tous les chemins mènent à Hitler. Cette obsession prend les formes les plus folles qui soient. Les spécula­tions des «rééducateurs» ont pris l'ampleur qu'elles ont parce qu'ils ont affirmé avec succès que Hitler résumait en sa personne tout ce qui relevait de l'Etat, de la Nation et de l'Autorité. Les conséquences, Arnold Gehlen les a résumées en une seule phrase: «A tout ce qui est encore debout, on extirpe la moëlle des os». Or, en réalité, le système mis sur pied par Hitler n'était pas un Etat mais une «anarchie autoritaire», une alliance de groupes ou de bandes qui n'ont jamais cessé de se combattre les uns les autres pendant les douze ans qu'a duré le national-socia­lisme. Hitler n'était pas un nationaliste, mais un impérialiste racialiste. Pour lui, la nation allemande était un instrument, un réservoir de chair à canon, comme le prouve son comportement du printemps 1945. Mais cette vision-là, bien réelle, de l'hitlérisme n'a pas la cote; c'est l'interprétation sélective­ment colorée qui s'est imposée dans nos es­prits; résultat: les notions d'Etat et de Nation peuvent être dénoncées de manière ininter­rompue, détruites au nom de l'éman­cipa­tion.

 

Q.: Voyez-vous un avenir pour la droite en Allemagne?

 

GM: Pas pour le moment.

 

Q.: A quoi cela est-il dû?

 

GM: Notamment parce que le niveau intel­lectuel de la droite allemande est misérable. Je n'ai jamais cessé de le constater. Avant, je prononçais souvent des conférences pour ce public; je voyais arriver 30 bonshommes, parmi lesquels un seul était lucide et les 29 autres, idiots. La plupart étaient tenaillés par des fantasmes ou des ressentiments. Ce public des cénacles de droite vous coupe tous vos effets. Ce ne sont pas des assemblées, soudées par une volonté commune, mais des poulaillers où s'agitent des individus qui se prétendent favorables à l'autorité mais qui, en réalité, sont des produits de l'éducation anti-autoritaire.

 

Q.: L'Amérique est-elle la cible principale

de l'anti-libéralisme?

 

GM: Deux fois en ce siècle, l'Amérique s'est dressée contre nous, a voulu détruire nos œu­vres politiques, deux fois, elle nous a dé­claré la guerre, nous a occupés et nous a ré­éduqués.

 

Q.: Mais l'anti-américanisme ne se déploie-t-il pas essentiellement au niveau «impolitique» des sentiments?

 

GM: L'Amérique est une puissance étran­gè­re à notre espace, qui occupe l'Europe. Je suis insensible à ses séductions. Sa culture de masse a des effets désorientants. Certes, d'aucuns minimisent les effets de cette cul­ture de masse, en croyant que tout style de vie n'est que convention, n'est qu'extériorité. Beaucoup le croient, ce qui prouve que le pro­blème de la forme, problème essentiel, n'est plus compris. Et pas seulement en Alle­ma­gne.

 

Q.: Comment expliquez-vous la montée du néo-paganisme, au sein des droites, spécia­lement en Allemagne et en France?

 

GM: Cette montée s'explique par la crise du christianisme. En Allemagne, après 1918, le protestantisme s'est dissous; plus tard, à la suite de Vatican II dans les années 60, ça a été au tour du catholicisme. On interprète le problème du christianisme au départ du con­cept d'«humanité». Or le christianisme ne repose pas sur l'humanité mais sur l'a­mour de Dieu, l'amour porté à Dieu. Au­jour­d'hui, les théologiens progressistes attri­buent au christianisme tout ce qu'il a jadis combattu: les droits de l'homme, la démo­cra­tie, l'amour du lointain (de l'exotique), l'af­faiblissement de la nation. Pourtant, du christianisme véritable, on ne peut même pas déduire un refus de la poli­tique de puis­sance. Il suffit de penser à l'époque baroque. De nos jours, nous trou­vons des chrétiens qui jugent qu'il est très chrétien de rejetter la distinction entre l'ami et l'ennemi, alors qu'el­le est induite par le péché originel, que les théologiens actuels cherchent à mini­mi­ser dans leurs interpré­tations. Mais seul Dieu peut lever cette dis­tinction. Hernán Cor­tés et Francisco Pizarro savaient encore que c'était impossible, con­trairement à nos évêques d'aujourd'hui, Lehmann et Kruse. Cortés et Pizarro étaient de meilleurs chré­tiens que ces deux évêques. Le néo-paga­nis­me a le vent en poupe à notre époque où la sécularisation s'accélére et où les églises el­les-mêmes favorisent la dé-spi­ritualisation. Mais être païen, cela signifie aussi prier. Demandez donc à l'un ou l'autre de ces néo-païens s'il prie ou s'il croit à l'un ou l'autre dieu païen. Au fond, le néo-paga­nisme n'est qu'un travestissement actualisé de l'athéis­me et de l'anticléricalisme. Pour moi, le néo-paganisme qui prétend revenir à nos racines est absurde. Nos racines se si­tuent dans le christianisme et nous ne pou­vons pas reve­nir 2000 ans en arrière.

 

Q.: Alors, le néo-paganisme,

de quoi est-il l'indice?

 

GM: Il est l'indice que nous vivons en déca­dence. Pour stigmatiser la décadence, notre époque a besoin d'un coupable et elle l'a trou­vé dans le christianisme. Et cela dans un mon­de où les chrétiens sont devenus ra­rissi­mes! Le christianisme est coupable de la dé­cadence, pensait Nietzsche, ce «fanfaron de l'intemporel» comme aimait à l'appeler Carl Schmitt. Nietzsche est bel et bien l'ancêtre spirituel de ces gens-là. Mais qu'entendait Nietzsche par christianisme? Le protestan­tis­me culturel libéral, prusso-allemand. C'est-à-dire une idéologie qui n'existait pas en Italie et en France; aussi je ne saisis pas pourquoi tant de Français et d'Italiens se réclament de Nietzsche quand ils s'attaquent au christianisme.

 

Q.: Monsieur Maschke, nous vous remer­cions de nous avoir accordé cet entretien.

 

(une version abrégée de cet entretien est pa­rue dans Junge Freiheit n°6/91; adresse: JF, Postfach 147, D-7801 Stegen/Freiburg).                

La forza revoluzionaria del mito politico

 La forza revoluzionaria del mito politico

 

 

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La possibilità che hanno i popoli di correggere l’andamento della storia attraverso crisi rivoluzionarie riposa tutta nella capacità di conservazione del loro patrimonio di energie irrazionali. Nessuna ribellione a uno status quo avvertito come ingiusto o degradante è mai avvenuta per le vie razionaliste della dialettica. Si ebbe una rivoluzione francese soltanto quando alle teorie borghesi degli illuministi subentrò la capacità di Danton e Saint-Just di gestire emotivamente le masse. E si poté avere una rivoluzione bolscevica soltanto quando alle inerti elucubrazioni marxiane tenne dietro il calore bruciante della parola leniniana e della sollevazione del popolo nel nome di un’utopia mitica. Ancora più chiaramente, tale processo è leggibile nel caso dei fascismi europei, nati dalla catastrofe del mito nazionale, dalla messa in pericolo liberal-comunista della tradizione mitopoietica del popolo, e infine dalla volontà propriamente rivoluzionaria - cioè correttrice verso le origini - di far risorgere, potenziato, il mito accomunante dell’immobile, eterna comunità di popolo.

 

 

Tutto ciò ha fatto parlare dell’apparizione moderna del mito politico come di una insorgenza di religiosità civile nel bel mezzo dell’ateismo e dell’agnosticismo moderni. Religioni politiche: esse hanno riempito il vuoto lasciato dalla crisi del cristianesimo attraverso la gestione di retaggi e atavismi riattivati tra le masse, una volta che queste furono abbandonate da un decrepito sistema di fede trascendente, che lasciava insoddisfatte le domande popolari di nuova identificazione. In questo, giacobinismo e comunismo non furono in nulla diversi dal nazifascismo, se non come casi patologici di contraddizione in termini: per poter passare dalla fase dell’insurrezione a quella della costruzione rivoluzionaria, dovettero far ricorso a uno strumentario mitico e irrazionalistico di stampo para-religioso e in quanto tale estraneo, e anzi opposto, ai presupposti “scientifici” del loro stesso progressismo di partenza. Dalla statue elevate alla Dea Ragione alla mummia di Lenin nella Piazza Rossa, e fino alle mitologie millenaristiche del nazionalismo puritano americano, noi vediamo che il progressismo riesce ad esprimere potenziale mobilitatorio soltanto dando vita alla sua massima contraddizione e smentendo esplicitamente se stesso. Quando dall’amministrazione si passa alla politica, il ricorso all’inconscio e all’irrazionale giacenti nel popolo è l’unica arma a disposizione per attivare un cambiamento che sia sostanza e non apparenza.

 

 

Nel caso del progressismo - giacobino, liberale, comunista - si può parlare di uso strumentale del repertorio mitico. Si tratta del ricorso a patrimoni che la ragione e la “religione” del progresso hanno sempre demonizzato e colpevolizzato, definendoli scorie di un passato oscurantista condannato dalla luce della modernità. Nel caso invece del nazifascismo si ha la piena consapevolezza che l’utilizzo del mito politico atto a riconsacrare il popolo non è strumento occasionale per ricompattare masse altrimenti allo sbando (il richiamo al “mito americano” in occasioni elettorali; il ricorso alla “grande guerra patriottica” da parte dei sovietici), ma elemento strutturale di un sistema di potere che apertamente dice di voler attingere ai bacini memoriali collettivi. Lo sposalizio ideologico fra la tradizione ancestrale e la modernità è il tratto tipico dei fascismi, che hanno sempre abbinato l’identità storica del popolo con il suo moderno risveglio. Nel caso del nazionalsocialismo, il marxista ebreo-tedesco Ernst Bloch parlò non a caso di romanticismo del paganesimo eroico. C’era anzi, in questa sua definizione risalente agli anni Trenta, una punta di “invidia per un movimento che, diversamente dal comunismo, era riuscito a promuovere il solidarismo di massa attraverso il ridestarsi del «residuo arcaico emozionale», sapendo per di più «trasformare gli inizi mitici in inizi reali, i sogni dionisiaci in sogni rivoluzionari». Massimo scorno, quest’ammissione di efficiente realismo proprio nei fanatici dell’irratio, per un marxista “oggettivo” di stretta osservanza sovietica, costretto a verificare che l’arsenale di “scientificità” marxista rimaneva inservibile dinanzi alla richiesta popolare di ritorno all’identità tradizionale, pienamente soddisfatta dalla NSDAP nei modi plebiscitari che la storia conosce.

 

 

Nella struttura del Terzo Reich, infatti, sono ancor meglio visibili che negli altri fascismi europei le compiute categorie del mito politico in azione: attivazione del patrimonio culturale tradizionale; promozione di una religiosità etnica estranea ai confessionalismi dogmatici; mistica dell’offerta eroica di sé per il bene della comunità di stirpe. Conosciamo gli studi di Emilio Gentile sul Fascismo come religione politica capace di saldare a lungo un popolo, storicamente individualista come l’italiano, attorno ai simboli unificanti della gloria nazionale, secondo le vie del mito eroico racchiuso dal culto del Littorio. Nel caso del nazionalsocialismo sia ha una radicalizzazione di tale impostazione, essenzialmente grazie alla natura del germanesimo moderno, ben più dell’italianità in grado di serbare memoria attiva del proprio comunitarismo storico.

 

 

Basti, a testimoniare di questo, il mito del sangue. Divenuto, nel Terzo Reich, l’archetipo di un sistema di solidarismo sociale incentrato sulla rianimazione di antiche testimonianze della mistica religiosa tedesca. La Theologia Deutsch, ad esempio, che nell’epoca pre-protestante veicolò l’ideologia della divinizzazione dell’uomo e di un sotteso sovrumanismo, secondo modi semiereticali di contestazione della trascendenza cristiana, fu alla fine la fonte di riferimento immediata per il mito del sangue nazionalsocialista. È stato anni fa Manuel Garcìa Pelayo, nel suo classico Miti e simboli politici, a rimarcare che nella concezione di Alfred Rosenberg - che nel Mito del XX secolo riconobbe ampiamente il suo debito culturale verso il mistico duecentesco Meister Eckhart - si riconosce con tutta evidenza la linea ideologica che corre dalla religiosità renana medievale sino alla rievocazione del mistero del sangue, quale compare nella pubblicistica filosofica nazionalsocialista. «Ora il sangue, secondo la dottrina nazista - ha scritto Pelayo - non è un fatto puramente fisiologico, ma qualcosa di misterioso che reca in seno proprietà morali, intellettuali…il sangue è anche un fatto di natura spirituale, che si dispiega in creazioni culturali come la filosofia, l’arte, la scienza, le forme sociali». Quest’affermazione, da sola, è tra l’altro sufficiente a liquidare tutte le speculazioni che da anni si vanno facendo intorno allo specioso problema di una supposta alternativa tra “razza del sangue ” e “razza dello spirito”, in cui si sono incartati a suo tempo Julius Evola e alcuni suoi zelanti seguaci ancora oggi. Il mito politico nazionalsocialista legato al valore sublimante del sangue era essenzialmente un’invocazione di purificazione mistica: «Con la difesa del sangue si difende al tempo stesso il divino che c’è nell’uomo», affermava Rosenberg, riecheggiando Meister Eckhart nel suo incitamento alla creazione di una neue Adel, una nuova nobiltà predisposta a «diventare dio». Il sostrato gnostico che si agitava nei fondali della percezione nazionalsocialista permetteva formulazioni di irrazionalismo idealistico di tale portata, che spesso gli storici non hanno esitato a parlare di vera e propria mistica. Il dualismo agitato tra il demoniaco ricatto materialista dell’epoca moderna e l’anelito purificante di ripercorrere le origini diveniva rivoluzione: «Questa rivoluzione tanto misticamente o metafisicamente concepita nelle sue origini ebbe come soggetto storico il partito nazionalsocialista», sintetizza Pelayo. Non diversamente, Eric Voegelin osservò, in La politica: dai simboli alle esperienze, che la teologia politica del nazionalsocialismo ripeteva attitudini etiche di tipo religioso, lavorando i materiali ancestrali con le tecniche messe a disposizione dal mondo moderno: «La creazione del mito e la sua propaganda attraverso la stampa e la radio, i discorsi e le cerimonie comunitarie, le adunate e le marce, il lavoro pianificato ed il morire il battaglia, sono le forme intramondane dell’unio mystica».

 

 

Ma Voegelin si è spinto ancora oltre, concedendo al nazionalsocialismo una sostanza di autenticità come movimento non soltanto politico, ma propriamente religioso, in cui il simbolo è allo stesso modo segno di identità terrena e segnacolo di promessa ultraterrena: «La formulazione del mito…si approssima al simbolismo vero e proprio inteso come dominio di figure dotate di significato all’interno delle quali esperienza pratica intramondana ed esperienza interiore ultraterrena si uniscono in un’unità comprensibile». Riesce a questo punto più agevole dare pieno credito all’interpretazione del “mito ariano” operata da Philippe Lacoue-Labarthe e Jean-Luc Nancy nel loro Il mito nazi, allorquando parlano di un «mito del Mito» all’interno del nazionalsocialismo. Come presso i Greci antichi, vi fu nella Germania di allora un convergere di immagine e parola, Mythos e Logos, sogno e realtà, simbolo metafisico e politica. Il mito rimane irreale se non è vissuto, così come la proclamazione mistica abbisogna della pratica ascetico-eroica per avverarsi, fino al visionarismo e fino all’iniziazione estatica, che le religioni ben conoscono e le religioni politiche più radicali come il nazionalsocialismo ugualmente ebbero a fondamento. Quando si parla di delirio mistico, si può egualmente parlare di comunità religiose in rapimento, del visionarismo di una Teresa d’Avila, come di masse percosse da entusiasmo emotivo. Si ha in questi casi, come ribadiscono Lacue-Labarthe e Nancy, il verificarsi dell’Anschauen, da cui quella Weltanschauung, quel vedere-oltre il reale e penetrare nel mito cosmico, che fece del nazionalsocialismo un singolarissimo fenomeno storico titolato a «svolgere la funzione stessa di una religione». Rosenberg parlava del mito politico come di un sogno atavico che si rianima, Goebbels indicava nell’impossibile la realizzazione politica del nazionalsocialismo, Hitler evocava le potenze della Provvidenza e del Destino: tutti andavano sondando l’anima occulta e misteriosa del popolo. Talmente marcata fu la sostanza di questo profetismo neo-gnostico, che i due storici francesi vedono nel mito politico nazionalsocialista nulla di meno che una sorta di epifania del sacro: «…questo “vedere” proprio di un “sogno” attivo, pratico, operativo, costituisce il cuore del processo “mitico-tipico”, che diviene così il sogno reale del “Reich millenario”».

 

 

Luca Leonello Rimbotti

 

samedi, 22 novembre 2008

L'idée de perfectibilité infinie

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L'idée de perfectibilité infinie: noyau de la pensée révolutionnaire et libérale

 

 

Le Professeur Ernst Behler, qui enseigne à Seattle aux Etats-Unis, grand spécialiste de Friedrich Schlegel, sommité interna­tio­nale, vient de se pencher sur ce rêve optimiste de la perfecti­bi­lité absolue du genre humain, rêve sous-tendant toute l'aven­ture illuministe et révolutionnaire qui s'est enclenchée au XVIIIiè­me siècle. Ce rêve, qui est le noyau de la modernité, se repère dès la fameuse «querelle des anciens et des modernes», dans l'Aufklärung  allemand, chez l'Anglais Godwin, chez Con­dorcet (de loin le plus représentatif de la version «illuministe» de ce rêve), Mme de Staël, Constant, les Roman­tiques anglais (Words­worth, Coleridge) et aux débuts du roman­tisme allemand (Novalis, Schlegel). L'évolution de cette pensée de la perfecti­bi­lité, aux sinuosités multiples depuis l'Aufklärung  jusqu'au ro­man­tisme de Novalis et Schlegel, a été appréhendée en trois éta­pes, nous explique Ernst Behler dans son livre

 

Ernst BEHLER, Unendliche Perfektibilität. Euro­päische Romantik und Französische Revolution, Fer­dinand Schöningh, Paderborn, 1989, 320 S., DM 48,- (ISBN-3-506-70707-8).

 

La première étape s'étend de 1850 à 1870, et constitue une réac­tion négative à l'endroit du romantisme. La deuxième étape, de 1920 à 1950, est marquée par trois personnalités: Carl Schmitt, Alfred Bäumler et Georg Lukacs. La troisième étape, non encore close, est celle des interprétations contemporaines du complexe Aufklärung/Romantisme. A nos yeux, il est évident que les in­terprétations de la deuxième étape sont les plus denses tout en étant les plus claires. Pour Carl Schmitt, le romantisme, par son subjectivisme, est délétère par essence, même si, en sa phase tar­dive, avec un Adam Müller, il adhère partiellement à la poli­tique de restauration metternichienne. Face à ce romantisme ger­ma­nique dissolvant, aux discours chavirant rapidement dans l'in­si­gnifiance, Carl Schmitt oppose les philosophes politiques Bo­nald, de Maistre et Donoso Cortés, dont les idées permettent des décisions concrètes, tranchées et nettes. A l'occasionalisme (ter­mi­nologie reprise à Malebranche) des Romantiques et à leur frei­schwebende Intelligenz  (leur intellect vagabond et planant), Schmitt oppose l'ancrage dans les traditions politiques données.

 

Alfred Bäumler, le célèbre adversaire de Heidegger, l'apologiste de Hitler et le grand spécialiste de Bachofen, pour sa part, dis­tingue une Frühromantik  dissolvante (romantisme d'Iéna) qui se­rait l'«euthanasie du rococo», le suicide des idées du XVIIIiè­me. Cette mort était nécessaire pour déblayer le terrain et inau­gurer le XIXième, avec le romantisme véritable, fondateur de la philologie germanique, rénovateur des sciences de l'Antiquité, pro­moteur de l'historiographie rankienne, avec des figures com­me Görres, les frères Grimm et Ranke. Avec ces deux phases du romantisme, se pose la problématique de l'irrationalisme, affirme Bäumler. L'irrationalisme procède du constat de faillite des grands systèmes de la Raison et de l'Aufklärung.  Cette faillite est suivie d'un engouement pour l'esthétisme, où, au monde réel de chair et de sang, la pensée op­pose un monde parfait «de bon goût», échappant par là même à toute responsabilité historique. Nous pourrions dire qu'en cette phase, il s'agit d'une irrationalité timide, soft,  irresponsable, désincarnée: le modèle de cette na­tu­re, qui n'est plus tout à fait rationnelle mais n'est pas du tout charnelle, c'est celui que sug­gère Schelling. Parallèlement à cette nature parfaite, à laquelle doit finir par correspondre l'homme, lequel est donc perfectible à l'infini, se développe via le Sturm und Drang,  puis le roman­tisme de Heidelberg, une appréhension graduelle des valeurs tel­luriques, somatiques, charnelles. A la théo­rie de la perfectibilité succède une théorie de la fécondi­té/fé­condation (Theorie der Zeu­gung).  A l'âge «des idées et de l'hu­manité» succède l'âge «de la Terre et des nationalités». La Nature n'est plus esthétisée et su­blimée: elle apparaît comme une mère, comme un giron fécond, grouillant, «enfanteur». Et Bäumler de trouver la formule: «C'est la femme (das Weib) qui peut enfan­ter, pas l'"Homme" (der Mensch);  mieux: l'"Homme" (der Mensch)  pense, mais l'homme (der Mann)  féconde».

 

Georg Lukacs, pourfendeur au nom du marxisme des irrationa­lismes (in Der Zerstörung der Vernunft),  voit dans la Frühro­mantik  d'Iéna, non pas comme Bäumler l'«euthanasie du ro­coco», mais l'enterrement, la mise en terre de la Raison, l'ou­verture de la fosse commune, où iront se décomposer la rai­son et les valeurs qu'elle propage. Comme Schmitt, qui voit dans tous les romantismes des ferments de décomposition, et contrairement à Bäumler, qui opère une distinction entre les Romantismes d'Ié­na et de Heidelberg, Lukacs juge l'ère roman­tique comme dan­gereusement délétère. Schmitt pose son affirma­tion au nom du conservatisme. Lukacs la pose au nom du marxisme. Mais leurs jugements se rejoignent encore pour dire, qu'au moment où s'effondre la Prusse frédéricienne à Iéna en 1806, les intellectuels allemands, pourris par l'irresponsabilité propre aux romantismes, sont incapables de justifier une action cohérente. Le conservateur et le marxiste admettent que le sub­jectivisme exclut toute forme de décision politique. Cette triple lecture, conservatrice, natio­na­liste et marxiste, suggérée par Beh­ler, permet une appréhension plus complète de l'histoire des idées et, surtout, une historio­gra­phie nouvelle qui procèdera do­rénavant par combinaison d'élé­ments issus de corpus considérés jusqu'ici comme antagonistes.

 

Dans le livre de Behler, il faut lire aussi les pages qu'il consacre à la vision du monde de Condorcet (très bonne exposition de l'idée même de «perfectibilité infinie») et aux linéaments de per­fec­ti­bilité infinie chez les Romantiques anglais Wordsworth et Coleridge. Un travail qu'il faudra lire en même temps que ceux, magistraux, de ce grand Alsacien biculturel (allemand/français) qu'est Georges Gusdorf, spécialiste et des Lumières et du Ro­man­tisme.

 

Robert STEUCKERS. 

 

mercredi, 19 novembre 2008

Ricardo Petrella contre la "théologie universelle capitaliste"

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Riccardo Petrella contre la “Théologie Universelle capitaliste”

 

 

Synergies Européennes - Ecole des cadres - Wallonie / Liège/Namur - novembre 2008

 

Riccardo Petrella est un économiste et un politologue qui a enseigné à l’UCL (“Université Catholique de Louvain”). Il s’inscrit à l’évidence dans une tradition qui fusionne l’humanisme (au sens plutôt chrétien du terme), le personnalisme (vocable qui n’est plus guère usité) et le solidarisme (autre tradition que l’on dissimule aujourd’hui derrière d’autres vocables). Mais cette tradition, il la met au goûtdu jour et ainsi l’édulcore et l’anesthésie, processus de reniement qui affecte les mouvances politiques chrétiennes et démocrates-chrétiennes en Belgique depuis de longues décennies déjà.

 

Dans son dernier ouvrage, Petrella plaide, comme l’indique clairement le titre, pour l’avènement d’une “nouvelle narration”, d’un nouveau récit mobilisateur d’énergies citoyennes, appelé à se substituer à la narration néo-libérale, qui a le vent en poupe depuis le début des années 80 du 20ème siècle. Le terme “narration” nous rappelle ici une partie très substantielle de l’oeuvre de Jean-François Lyotard, qui, il y a déjà quelques décennies, avait annoncé la fin des “grands récits” idéologiques de la modernité et l’avènement d’une “postmodernité”, où ces grands récits n’éveilleraient plus aucune passion et passeraient enfin pour ce qu’ils sont, dans le fond: des bricolages intellectuels inconsistants. De fait, sous les coups de la dissidence soviétique, et d’Alexandre Soljénitsyne en particulier, l’encadrement idéologique et politique le plus résolument “moderniste” et “progressiste” en ses théories, qu’était le communisme à la soviétique, en dépit du “technological gap” pourtant patent qui l’affaiblissait et l’handicapait, s’est effrité avant de voler en poussière avec la perestroïka et la glasnost promises par Gorbatchev au moment de son accession au pouvoir.

 

Mais cette “modernité” à l’enseigne du marxisme et du communisme, tous deux dérivés d’une matrice linéaire hégélienne, ne cèdera pas sa place à l’émitettement et aux petits récits furtifs dont rêvaient les postmodernistes les plus audacieux, auxquels Lyotard n’a pas vraiment emboîté le pas. Une “narration”, et non pas des myriades de narrations, va remplacer le récit “hégélo-marxiste”; une narration aussi lourde, sinon plus lourde, parce que moins “froide” (Papaioannou) et plus “colorée” en apparence, va oblitérer la pensée sociale, économique et politique de l’Occident atlantiste et “américano-centré” d’abord, avant de passer rapidement aux pays d’Europe centrale et orientale et dans de vastes sphères de la société russe elle-même, à peine débarrassée du communisme. Petrella nomme cette “nouvelle narration” dominante la “narration de la Théologie universelle capitaliste”.

 

Indubitablement, cette nouvelle narration dominante partage, avec la narration progressiste hégélo-marxiste, avec la modernité libérale issue de la révolution française, avec les thèses de von Laue et de Fukuyama aux Etats-Unis, un même messianisme laïque et intransigeant, prêt à recourir aux pratiques de l’extermination pour faire triompher ses lubies. Cette “Théologie” repose 1) sur une foi dans la technologie qui, pense-t-elle, résoudra tous les problèmes de l’humanité, y compris les problèmes les plus ontologiques de l’être humain en tant qu’être vivant; 2) sur une confiance aveugle dans les “vertus” du capitalisme qui, avec l’appareillage technologique permettant vitesse et abolition de la durée, permettra très vite d’agir sur le temps et sur l’espace, de les modifier, de les abolir comme les contraintes premières imposées de facto à toute action humaine (c’est-à-dire à toute action de la technocratie, de l’usure et du capitalisme); 3) sur la conviction qu’il n’y a pas d’alternative à ce système, que toutes les alternatives qui ont tenté, avec les nationalismes, fascismes, populismes ou communismes, de freiner cette expansion frénétique, ont échoué. Tous ceux qui tenteraient de nouvelles expériences ne feraient que reproduire une facette ou une autre, sinon l’ensemble, des exigences des idéologies anciennes, jugées aujourd’hui condamnables en bloc.

 

Pour Petrella, les tenants de cette “narration”, de cette “théologie universelle capitaliste” avancent principalement la théorie de la complexité croissante des systèmes et la théorie du chaos. La complexité est devenue telle, prétendent-ils, qu’aucune intervention humaine (politique) volontariste ne pourrait en venir à bout. Le volontarisme politique est donc d’emblée posé comme inutile voire comme criminel, avant même qu’il n’y ait faits. D’emblée, le soupçon de réanimer le fascisme ou le paléo-communisme pèse sur le militant syndical, ouvrier ou politique, qui entend lutter contre le système ou une fraction de celui-ci. La théorie du chaos, elle, justifie les flux désordonnés qui bouleversent chaque jour les agencements d’hier, considérés déjà comme obsolètes avant même de s’être complètement déployés et ancrés dans le réel social. Au beau milieu d’un tel “mouvement brownien” de compositions éphémères et de décompositions permanentes, la notion de “hard law”, de loi écrite, de constitution stable, de durée juridique, cède le pas à la notion de “soft law”, de “régulation légère”, “ad hoc”, “locale” (non pas dans le sens où cette dimension “locale” s’inscrirait dans une longue durée particulière mais ne serait que pur expédient sans valeur à plus grande échelle, et, a fortiori, sans aucune valeur universelle). Cette distinction qu’opère Petrella entre “hard law” et “soft law” est cardinale, très importante à assimiler et à vulgariser pour tous les constataires de la “Théologie universelle capitaliste”.

 

Ne redécouvre-t-on pas, ici, dans ces arguments de Petrella, ceux-là mêmes que Carl Schmitt annonçait dans son “Glossarium”: fluidité totale, comparable à l’eau des océans sur lesquels règnent les thalassocraties? Le “soft law” des expédients temporaires, sans durée, n’est-elle pas cette pratique juridique qui devient forcément inéluctable si l’hegemon planétaire est thalassocratique? La prédominance du “soft law” n’avait-elle pas été annoncée dans ce “Glossarium” de Schmitt, qui disait qu’à l’avenir, sous la domination des Etats-Unis, nous n’allions plus écrire que des “log books”, des livres de bord narrant les aléas fortuits et éphémères de la course maritime, de la mobilité incessante du navire sur les flots, sans appui tellurique? Petrella écrit: “Le temps, l’espace sont atomisés, virtualisés, éclatés, réduits aux seules variables de coût et de profits” (p. 14). Vocabulaire différent de Schmitt mais même esprit. Ici, nous sommes sur la même longueur d’onde que Petrella. 

 

A la “théologie universelle capitaliste”, Petrella entend opposer une “autre narration”, une “narration différente”, dont les pilers seraient: 1) le principe de la vie; 2) le principe d’humanité; 3) le principe de vivre ensemble; 4) le principe des “biens communs”; 5) le principe de démocratie; 6) le principe de responsabilité, reposant sur les principes de précaution, de réversibilité et de prévention; 7) le principe de l’utopie.

 

A ces sept principes, énoncés à l’évidence pour plaire à un spectre politicien alliant, en Belgique romane, la frange la plus dynamique du parti “écolo” (avec Javaux et Nollet), de la frange si possible la moins délirante du CdH de Joëlle Milquet et de socialistes non véreux revenus dégoûtés de la géhenne des scandales répétés, causés par leurs mandataires carolorégiens et autres. Pour battre le rappel de cette hypothétique phalange de brics et de brocs, Petrella est contraint d’adopter les tics langagiers les plus usuels de cet aréopage politicien qui, esprit du temps oblige, a été frotté à satiété à toutes les mièvreries plus ou moins politisées du discours diffus de mai 68, du festivisme dénoncé en France par le regretté Philippe Muray, plutôt, on s’en doute bien, un soixante-huitardisme dans sa version “para-hippy” que dans sa version “katangaise”.

 

Les sept points de Petrella souffrent de cette terrible tare contemporaine qu’est ce soixante-huitardisme festiviste. Reprenons-les mais traduisons-les, quand c’est possible, en un langage réaliste, mixte de conservatisme révolutionnaire, de sorélisme, de schmittisme, d’aristotélisme et de personnalisme (façon “Citadelle” d’Antoine de Saint-Exupéry).

 

1.

Le principe de “Vie” est cardinal, nous en convenons, et Petrella a raison, mille fois raison, de le mettre en tête de liste car il nous ramène, bien entendu, à l’oeuvre de Hans Jonas, disciple de Martin Heidegger. La Vie, pour Jonas, est cette donnée totale, incommensurable, sur laquelle nous ne pouvons pas agir de manière blessante et intrusive, mécanique et métallique, au risque de susciter des irréversibilités dangereuses pour l’avenir du genre humain, des races humaines. Ces irréversibilités proviennent majoritairement des entorses technomorphes (cf. Hans Albert, Ernst Topitsch) perpétrées contre le facteur temps/durée, enfoui dans la biologie même des êtres vivants, végétaux, animaux et humains, dans leurs codes génétiques, dans leur ADN. Vouloir dévorer des énergies fossiles qui ont mis des millions voire des milliards d’années à se constituer risque de laisser une humanité trop nombreuse sans ressources déjà à moyen terme. De même, vouloir aligner l’ensemble de la population mondiale sur les rythmes “en temps réel” des sociétés industrielles et post-industrielles avancées  —ce qui est désormais possible avec les technologies nouvelles—  va soumettre toute cette population, les faibles en tête mais pas seulement les faibles, à un stress perpétuel (cf. les travaux de Nicole Aubert en France) pour le seul bénéfice du profit économique qui ne connaît d’autres logiques qu’amplifiantes, dévorantes et accélérantes. Au stress professionnel vont s’ajouter des loisirs électroniques divers, dévorateurs de temps de repos et de sommeil dès le plus jeune âge: le fragile équilibre ontologique de l’homme, être et de nature et de culture (A. Gehlen, K. Lorenz), prendra un coup mortel, dont on perçoit déjà les premiers effets. Mais dans le petit univers politicien étriqué et somme toute fort médiocre, auquel Petrella cherche à s’adresser, quels cris d’orfraie n’entend-on pas dès que l’on ose parler de “biopolitique” (c’est-à-dire d’une politique qui tienne compte des structures basiques de l’ontologie humaine)? Petrella a certes raison d’évoquer en tête de sa liste ce principe jonassien de “Vie”, mais il s’avance sur un terrain miné par l’idéologie dominante, celle d’hier comme celle d’aujourd’hui, qui considèrent toutes deux que les ressorts ontologiques de l’être humain sont autant de freins à la logique de la production et/ou du profit.

 

2.

Le principe d’humanité est le deuxième principe avancé par Petrella. Le grand mot est lâché, sans doute pour faire titiller positivement les oreilles de nos concitoyens égarés dans le troupeau hétéroclite du CdH. En effet, Petrella retombe ici dans les mêmes travers que la “théologie universelle capitaliste” que son livre dénonce. Celle-ci raisonne également en terme d’ “humanité”. Il est possible qu’un jour, dans quelques milliers de siècles lointains, l’humanité formera un tout homogène, complètement fusionné, à condition, bien sûr, qu’il y aura simultanément harmonisation et homogénéisation des climats et des données géologiques sur la planète: que les Groenlandais pourront cultiver des bananes sur leurs pergélisols d’antan et que les Congolais pourront skier pendant leurs nouveaux hivers équatoriaux sur les pentes du Kasaï. Il n’y a pas d’humanité, et il n’y en a jamais eu, disait déjà Joseph de Maistre, tout simplement parce que la Terre est composée de zones climatiques et géologiques si différentes les unes des autres que les hommes, qui y sont confrontés, donnent à chaque fois des réponses différentes, générant modes de vie et traditions différentes (notre option différentialiste). De ces réponses différentes naissent, par ethnogénèse, les peuples et les cultures, tantôt au départ d’éléments homogènes tantôt au départ d’éléments hétérogènes (cf. les travaux d’Arnold Toynbee et de Felipe Fernandez-Armesto). L’heure viendra sans nul doute pour l’humanité, telle que l’entend Petrella, mais il faudra encore attendre quelques milliards d’années, voire davantage, des milliards d’années de bouleversements climatiques et géologiques, à moins que le soleil ne vienne bientôt à Davos, en costume trois pièces, pour signer un contrat avec la Trilatérale ou le Groupe Bilderberg, promettant, sous peine de devoir payer force astreintes, de darder ses rayons de manière égale sur tous les points du globe et pour recueillir, dans la foulée, les applaudissements des altermondialistes. En attendant, pour arracher nos concitoyens aux griffes des tenants de la “théologie universelle capitaliste”, nous devons agir “hic et nunc”, dans les limites de notre temps et de notre espace, parce qu’il n’y a pas moyen de faire autrement.

 

3.

Le principe du “vivre ensemble”, soit du “Mit-Sein” heideggerien, repose, pour Petrella, sur l’axiome que l’être humain est un “être social”. Vérité incontournable. Incontestable. Qui entend effectivement ruiner la méthodologie individualiste de Hayek et des néo-libéraux, figures emblématiques et fondatrices de cette “théologie universelle capitaliste”, dénoncée par Petrella. C’est clair: Petrella veut renouer, à juste titre, avec la notion aristotélicienne de “zoon politikon”. Nous sommes, une fois de plus ici, sur la même longueur d’onde que lui. Or ce troisième principe est pourtant en totale contradiction avec le deuxième principe d’humanité: Petrella aurait-il oublié que la “Polis”, qu’il définit pourtant très clairement (p. 16), est l’organisation de la Cité, toujours limitée par définition dans l’espace, et même si cet espace, comme jadis l’ager romanus est appelé à s’étendre, il ne pourra jamais s’étendre à toute la  Terre. En évoquant la “communauté mondiale” dans l’exposé de ce troisième principe, il semble toutefois conscient, et un peu gêné, de sa propre contradiction, posée pour tenter de donner un programme à un aréopage de politiciens incapables de parfaire quoi que ce soit.

 

4.

Le principe de “bien commun” est lié à celui de la communauté, organisée et de ce fait limitée dans le temps et dans l’espace, puisqu’il n’existe (pas encore?) de communauté planétaire où le député aïnou siègerait chaque jour, immédiatement dès qu’un problème surgirait, à côté de ses collègues de Patagonie, d’Ukraine subcarpathique, du département de la Lozère, du Shaba, de Cyrénaïque, etc pour régler le problème du travail saisonnier des cueilleurs de cerises en Hesbaye. Petrella parle de “biens communs” à l’humanité, telles l’énergie ou la santé; il existe déjà des organisations transétatiques qui s’occupent de ces problèmes globaux comme l’OMS, Helios, etc.; l’Union postale internationale s’occupe de la diffusion du courrier; ces organisations sont ponctuelles, ont des objectifs bien circonscrits mais non politiques et n’ont pas vocation à s’occuper de tout et de rien, uniquement pour le plaisir purement cérébral et abstrait de se gober d’internationalisme. Il suffit dès lors de militer pour doter toutes les organisations internationales relevant du secteur non marchand d’armes juridiques de nature “hard law” pour lutter contre l’envahissement du “soft law” des sphères économiques et usurières qui visent, bien sûr, l’indécision, l’imprécision, les manoeuvres dilatoires pour empêcher tout ancrage du droit dans la durée.

 

5.

Le principe de “démocratie”, chez Petrella, participe du même flou que celui d’humanité. Quelques remarques nous viennent immédiatement à l’esprit: c’est au nom de la démocratie, où plutôt d’un démocratisme militant à la Eleanor Roosevelt qui est évidemment caricature mutilante de toute véritable démocratie, que la “théologie universelle capitaliste” s’est imposée à la Terre entière, depuis le lancement médiatique du néo-libéralisme par Margret Thatcher d’abord, par Ronald Reagan ensuite. Cette théologie est théologie parce qu’elle dérive du puritanisme anglo-saxon des 17ème et 18ème siècles: le succès économique, dans cette variante extrême du protestantisme, est un indice d’élection divine, même s’il s’est opéré aux dépens d’acteurs plus faibles ou simplement locaux sur le marché (cf. les travaux de Max Weber, Werner Sombart, Ralph Barton Perry et Christopher Hill). Par un processus de laïcisation, propre au 18ème siècle, ce corpus, d’abord religieux et sectaire, agressif et intolérant, prend toutes les allures d’un discours posé et mondain, pour se muer en un libéralisme constitutionaliste à l’américaine, notamment dans la période de la Guerre d’Indépendance, entre 1776 et 1781. A Bruxelles, à l’époque, un observateur avisé de l’engouement américaniste des années 80 du 18ème, le chanoine François-Xavier de Feller, directeur du “Journal historique et littéraire”, a eu les mots justes: “les très insipides rêves américains”; la démocratie est une belle idée et une belle pratique mais si et seulement si elle assure une véritable représentation. La nécessité d’une véritable représentation implique, bien entendu, de réunir dans les assemblées des personnes représentatives des forces motrices réelles d’une société: le suffrage universel est une bonne chose mais le suffrage universel pur et simple, force est de le constater, conduit à un déficit de représentation réelle. La constitution du Brabant, avant le cataclysme de la révolution française et de l’invasion jacobine, faisait siéger les abbés des grandes abbayes, représentant savoir et tradition, les nobles en nombre limité (à condition qu’ils représentent réellement quelque chose et deux quartiers suffisaient!) et le tiers-état solidement représenté, chez nous, par les métiers des villes: tous ces représentants représentaient réellement le tissu social et économique du Brabant de l’époque.

 

Aujourd’hui, il apparaît clair que les qualités de “pur” et de “simple” du suffrage universel doivent être  corrigées par le retour à un vote capacitaire (dont il s’agit de définir les limites), à un vote du père pour chacun de ses fils mineurs et de la mère pour chacune de ses filles mineures (sur le lieu où s’exerce le droit de garde en cas de divorce; le parent détenant le droit de garde votant pour ses enfants, indépendemment de leur sexe), à l’exclusion de tout vote censitaire (celui qui scandalisait à juste titre et avait amené les vrais socialistes de l’époque héroïque à réclamer le suffrage universel). A ce  suffrage universel capacitaire et parental, pour assurer la représentation populaire totale (enfants et talents compris), doit s’ajouter, au Sénat, la représentation directe des grands ordres professionnels du pays (médecine, pharmacie, architecture, etc.), comme De Gaulle l’avait d’ailleurs suggéré à la fin de sa carrière politique. Il faut aussi bien comprendre que certains délits ou crimes devront exclure du droit de vote, définitivement ou pour un temps limité, de même que toute collusion active ou simplement familiale, avec les secteurs mafieux qui prolifèrent et s’épanouissent justement depuis l’avènement de la “théologie universelle capitaliste” (cf. Jean-François Gayraud, “Le monde des mafias – Géopolitique du crime organisé”, Paris, Odile Jacob, 2005). On pourrait même faire un pas de plus et limiter le droit de vote pour tous ceux qui travaillent au sein des grandes sociétés marchandes, du secteur bancaire et autres secteurs tertiaires de nature parasitaire et dont les factures peuvent être qualifiées de “léonines” et de “captatrices de rentes”, afin d’obtenir, in fine, une représentation exclusive des secteurs actifs et créatifs, tablant sur la valeur personnelle du cadre ou du travailleur, seule garante d’un humanisme exemplaire pour tous les peuples composant l’humanité. Faute d’une redéfinition fondamentale, le principe de démocratie, sous le talon d’acier de la théologie universelle capitaliste (ThUC), reste creux. Et pire, a servi, et sert toujours, les tenants de la ThUC à asseoir leurs pouvoirs. La démocratie s’est hélas muée en partitocratie, en une polyarchie arbitraire, rétive à tout changement, incapable de décisions fortes et ouvertes à toutes les manoeuvres corruptrices (cf. l’oeuvre d’Ostrogovski et l’étude de Robert Steuckers sur les ressorts de la partitocratie: http://be.altermedia.info/culture/des-effets-pervers-de-la-partitocratie_6714.html; pour la Belgique actuelle, cf. les travaux du Sénateur Destexhe et du Prof. Eraly).

 

6.

Le principe de responsabilité, selon Petrella, nous ramène une fois de plus à Hans Jonas, dont, manifestement, il s’inspire. Que le lecteur se réfère à l’étude de Robert Steuckers: www.e-litterature.net/publier/spip/article4.php3?cel=&repert=litterature&titre=steucker2&num=414&id_auteur.... Petrella et nous sommes ici sur la même longueur d’onde.

 

7.

Le principe de l’utopie, chez Petrella, est, à notre sens, une concession parfaitement inutile aux résidus de la mentalité “hippy”, au “festivisme” (selon Muray), que l’on retrouve chez les quinquagénaires infantilisés des partis auxquels il souhaite apporter une batterie de principes programmatiques. L’utopie, au sens premier que lui conférait Thomas More, était effectivement un modèle de Cité idéale, destiné à inspirer ceux qui, au début du 16ème siècle, entendaient sortir de l’imbroglio apporté par la fin du moyen âge, par la mutation d’échelle qui s’était opérée avec la découverte de l’Amérique, par la redécouverte du patrimoine antique, par la menace ottomane, par les mutations dans le domaine militaire, et, plus particulièrement en Angleterre, par les effets de la Guerre des Deux Roses et des révoltes paysannes de Wat Tyler. Aujourd’hui, la veine utopique, lancée par More, est épuisée: les Cités du Soleil que les uns ou les autres avaient promises ont débouché sur l’enfer, les guerres civiles, les éradications, donnant naissance à la veine “dystopique”, intellectuellement bien plus féconde, de Zamiatine à Orwell, de Huxley à Cioran et à Zinoviev, pour ne pas citer un ouvrage récent, émanation plus actuelle de cette veine: “Globalia” de Jean-Christophe Rufin. Cette fécondité de la veine dystopique nous interdit de revenir à l’utopie, du moins dans le sens où l’entend Petrella.

 

Des sept principes de Petrella, nous en retenons donc quatre: la Vie, le vivre ensemble (“Mit-Sein”), le(s) bien(s) commun(s), la responsabilité; nous remplacerions le principe de démocratie par celui de représentation; et nous abandonnerions volontiers aux stratèges de cafés de commerce les “principes” d’humanité et d’utopie.

 

Le livre de Petrella recèle quelques autres points appelés à devenir programmatiques, y compris pour nous-mêmes: 1) soustraire l’enseignement et l’éducation aux logiques du capital; 2) soustraire l’Etat à l’emprise des marchands; 3) opérer le désarmement financier de l’économie actuelle. Les autres propositions de Petrella s’inscrivent trop dans le discours irréaliste des gauches molles et d’une certaine tradition de socialisme utopique, déjà dénoncé par Marx et Engels. Nous avons là un prêchi-prêcha pour naïfs démocrates-chrétiens, pour hippies recyclés dans la mouvance écologiste ou pour militants altermondialistes des “beaux quartiers” (notre petit clin d’oeil à Aragon...), imaginant révolutionner la planète en ratiocinant sur la notion de réseau, chère à Hardt et Negri. Ces cénacles servent la narration dominante, donnent l’illusion de la démocratie et de la contestation mais n’ont aucun effet concret, vu qu’ils éludent l’impérieuse nécessité d’une armée populaire et citoyenne (l’exemple suisse chez Machiavel), d’un esprit de défense, d’un raisonnement géopolitique bien étayé, d’une mémoire historique profonde, d’une autarcie alimentaire aussi vaste que possible, d’une industrie autonome, etc., tous instruments chargés d’assurer la liberté du citoyen, du “zoon politkon” au sein de sa “Polis”. Ce refus des réalités et impératifs politiques classiques rapproche Petrella d’un Alain de Benoist, Pape démonétisé de la “nouvelle droite”, qui radote, lui aussi, et à qui mieux mieux, sur la formidable parousie qui adviendra grâce, pense-t-il, aux réseaux à la Hardt-Negri, innervés par la pensée culpabilisante (pour l’Europe seule évidemment) de son nouveau grand immense copain, le fièvreux pamphlétaire suisse Jean Ziegler, qui faisait matraquer, il y a une trentaine d’années, les amis d’antan de de Benoist, histoire de démontrer sa tolérance. Le monde crève du néo-libéralisme et les divas d’une intelligentsia faisandée copinent en dépit des gueguerres passées et se roucoulent aux oreilles une belle phraséologie jargonnante et irréaliste. Triste involution! Pénible mélasse de concepts ramollis et boiteux!

 

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Nous retenons donc de Petrella les trois points “programmatisables”, énoncées ci-dessus:

 

1.

Soustraire l’enseignement et l’éducation aux logiques du capital.

L’enseignement et l’éducation participent d’une logique de la transmission, logique lente, logique de la décantation graduelle d’un savoir pratique, mythique et symbolique dans le cerveau des générations  nouvelles. Le capitalisme, et à fortiori sa variante turbo-capitaliste, participe d’une logique frénétique, accumulatrice de profits qui considère toute pondération pragmatique, tout résidu mythique ou symbolique comme des freins ou des obstacles à son déploiement incessant et ubiquitaire. Cette frénésie ne peut générer aucune pédagogie, au contraire, elle les ruine toutes, les traditionnelles comme les expérimentales. Il faut donc revenir à un enseignement classique, d’où serait banni toute logique économiciste et où les élèves et étudiants recevraient pour consigne de mépriser le marchand, le banquier, l’usurier, comme le préconisait le poète Ezra Pound. L’enseignement sert à donner aux sociétés des médecins, des horticulteurs, des juristes, des artistes, des agronomes, des historiens, des linguistes, des théologiens, des philosophes, des artisans, de bons ouvriers, des bouchers, des architectes, des boulangers, des soldats, tous dépositaires de savoirs ou d’arts immuables, qui ne peuvent en aucun cas subir l’assaut permanent de la fébrilité dissolvante du profit, sous peine de plonger la société dans les affres d’artifices sans racines, donc sans la possibilité de se ressourcer. Petrella plaide pour une réhabilitation de l’université traditionnelle et pour arrêter définitivement les déviances perverses, observables dès les débuts de l’ère néo-libérale, qui veulent aligner les universités sur les logiques d’entreprise, alors que les deux univers sont diamètralement différents: l’entreprise a le droit de se développer, de déployer ses  dynamismes à la condition expresse que la société dans son ensemble en tire profit et que les logiques et rythmes de l’entreprise ne débordent pas dans les domaines les plus nécessaires dont les rythmes sont forcément lents et où le sens du recul est une vertu cardinale. L’université classique est une institution à rythme lent et doit le rester. En effet, comment peut-on prendre acte du patrimoine des peuples, s’immerger dans les langues d’autrui, traduire avec toute la précision voulue les oeuvres d’une culture autre dans tous les domaines, même ceux apparemment les plus éloignés de la pure philologie? Peut-on pratiquer une médecine (non industrialisée) sans connaissances précises sur l’histoire de la médecine, en Europe et ailleurs? Peut-on maintenir une langue correcte, claire, dans une ambiance de fébrilité permanente? Ne constate-t-on pas que l’effondrement de la maîtrise de la langue maternelle, partout dans le monde, est surtout perceptible depuis l’envahissement de l’université par les logiques de l’économie, de la finance et du commerce? Qui a eu pour corollaire la quasi disparition du latin et du grec, au profit de savoirs éphémères, limités et soi-disant pratiques, qui ne laissent aucune empreinte durable sur les individus, ce qui les livre irrémédiablement aux séductions toujours changeantes du “présentisme” médiatique contemporain.

 

2.

Soustraire l’Etat à l’emprise des marchands.

L’Etat, ou ce qui en tient lieu avant l’acception moderne du terme, soit les “res publicae” romaines, a pour première mission de garantir les continuités, les legs, traditions et autres héritages, d’assurer l’avenir en gérant ressources naturelles et revenus divers avec parcimonie, équlibre et sens de l’avenir. L’Etat viable repose tout à la fois sur des logiques lentes, comme l’enseignement et l’éducation, et sur la  capacité à réagir avec promptitude et fulgurance, si les legs, qu’il est censé gérer et protéger, sont menacés mortellement par un ennemi absolu. La caste marchande, elle, veut réduire en miettes ces héritages, briser les continuités balisantes, maximiser les profits et dès lors induire une frénésie incessante qui dissout tout, non seulement l’Etat et l’essence du politique mais aussi les ressorts ontologiques de l’homme, l’être social comme l’individu. Les armées de psychothérapeutes et les tonnes de calmants vendus en pharmacie n’enrayeront pas le processus. La vie humaine organisée et policée, soit la vie politique du “zoon politikon”, est impossible sur le long terme si le matériel humain est atteint en son ontologie profonde (cf.: les avertissements, au seuil des années 70, du Prix Nobel Konrad Lorenz, relayé par ses disciples Irenäus Eibl-Eibesfeldt, Rupert Riedl et Franz Wuketits).

 

3.

Opérer le désarmement financier de l’économie actuelle.

Bon programme! Mais par quels moyens le mettre en oeuvre? Par des discours plaintifs et morigénants dans les assemblées fédérales, régionales, subrégionales, communales, etc.? Petrella semble oublier la double leçon de Soljénitsyne et Zinoviev: “Si le communisme disait ‘Ta gueule et au trou!’, l’occidentisme, lui, nous dit: ‘Cause toujours, tu m’intéresses!’”. Le communisme, société du spectacle tapageur, avait des méthodes rudimentaires, brutales. Le capitalisme occidentiste, société du spectacle diffus, a les moyens de se payer une opposition marginalisée, de se fabriquer éventuellement quelques terroristes à la Baader-Meinhoff pour renforcer le consensus et de noyer toute pensée pertinente et critique dans un flot de variétés, de faits divers et de fausses informations. Alors quoi? Revenir à la formule mussolinienne: escouades de combat, levées dans les rangs du peuple excédé et armées de flacons d’huile de ricin? Dont les effets seraient ponctués par quelques solides raclées administrées avec un manganello de rude caoutchouc ou avec une canne de Camelot du Roy? Le régime a trouvé de quoi parer à ce genre de débordements populaires et estudiantins. Il faut se rendre à l’évidence: ou bien nous attendons que la bulle pète, que le système croule, ou bien, par une mystérieuse opération du Saint Esprit, nous prenons, tous autant que nous sommes, conscience, comme Saint Paul sur le chemin de Damas, que nous avons fait fausse route et que les structures nées d’un capitalisme dévoyé sont intrinsèquement perverses et que ceux qui les font fonctionner sont des malfaiteurs, captateurs de rentes et spoliateurs du peuple: plus de droit de vote à quiconque a été employé, fût-ce comme subalterne d’entre les subalternes, par une agence bancaire ou assimilable, confiscation de leur patrimoine immobilier (les banques n’ont pas à faire dans l’immobilier), réduction de leurs salaires et pensions de 25 à 33% au profit des secteurs non marchands de la société, appelés à réparer les dégâts du turbo-capitalisme frénétique. Tel serait le désarmement réel d’une caste parasitaire à laquelle il n’aurait jamais fallu laissé la bride sur le cou. Et les gauches régimistes, démissionnaires, félones, qui n’ont pas organisé la résistance, de peur de paraître “ringardes” face aux prophètes tonitruants des “reaganomics” et du néo-libéralisme?  Petrella doit-il vraiment tenter de leur apporter des arguments, un programme clé sur porte et un “nouveau récit” en prime? Ce serait tourner en rond. Le boa de “Tintin au Congo” qui se bouffe lui-même en avalant d’abord sa propre queue.

 

Conclusions et pistes nouvelles

 

“Notre société est malade du temps”, explique dans ses ouvrages la sociologue et psychologue française Nicole Aubert (in: “Le culte de l’urgence – La société malade du temps”,  Flammarion, 2003). Le temps, dont aucun homme n’est maître, est la “denrée” que la modernité a voulu conquérir, soumettre, dévorer. La finalité est d’envahir les longues durées constructives, d’éradiquer en chaque individu les périodes de recul, de réflexion, de travail lent, de créativité propre à long terme, au profit de l’instant, du “temps réel” des ordinateurs, des portables et d’internet, du bénéfice ou de la satisfaction immédiats. Les dégâts anthropologiques sont patents comme l’attestent les fébrilités pathologiques contemporaines (compulsivité généralisée, fièvre des achats, frénésie du travail des “workaholics”, cyberdépendance, acharnement à faire du sport au-delà  du raisonnable, passion du jeu et de la spéculation boursière, sexualités compulsives et toujours insatisfaites). Les dépressions se multiplient, la consommation de calmants augmente, comme si les patients cherchaient à nouveau à ralentir le temps, mais deux domaines, signale Nicole Aubert, souffrent particulièrement de cette compulsivité généralisée et de son corollaire de dépressions: a) la famille, qui éclate, se morcelle, se recompose vaille que vaille, ne remplit en tout cas plus son rôle de pôle équilibrant, où l’enfant peut construire sa personnalité en toute quiétude; b) la quête spirituelle, l’anamnèse nécessaire à l’équilibre de l’homme à tous les moments de sa vie (“A la recherche du temps perdu” de Proust), est brocardée comme passéiste ou “ringarde” voire “fascistoïde” parce qu’identitaire, donc fondatrice et “consolidatrice” de la personne (voir aussi “L’Homme pressé” et “Bouddha vivant” de Paul Morand et “Scènes de la vie future” de Georges Duhamel).

 

Nicole Aubert plaide, avec le Prof. Christophe Roux-Dufort (réf. supra), pour un retour au temps cyclique, mieux adapté à l’homme, à ses structures ontologiques profondes. Et c’est là que nous retombons sur la notion de “récit”, issue de la philosophie de Jean-François Lyotard: faut-il remplacer le récit occidental linéaire dans sa version libérale-capitaliste par un récit tout aussi occidental et linéaire qui serait humaniste-utopique (et “rousseauiste” au mauvais sens du terme), alors qu’en général, libéralisme, capitalisme, (faux) humanisme et utopisme ont toujours fait bon ménage et procèdent finalement de la même matrice eudémoniste du 18ème siècle? (cf. “The Enlightement” de Peter Gay, la précieuse anthologie “Interpretazioni dell’illuminismo” d’Antonio Santucci et l’incontournable “Die Aufklärung” de Panayotis Kondylis).

 

Ce n’est pas un nouveau grand récit, mais de petits récits non universalisables et d’un retour aux calendriers, aux liturgies et aux rythmes réels (“Apocalypse” de D. H. Lawrence), dont notre société très malade, fourvoyée dans une impasse, a besoin. Bref d’un retour à la Tradition et aux Volksgeister. Ce ne sont pas seulement les guénoniens et les évoliens qui en parlent aujourd’hui: dans les aires linguistiques anglo-saxonne et néerlandaise, le succès d’un livre comme “Black Mass – Apocalyptic Religion and the Death of Utopia” le prouve. L’auteur, John Gray, démontre que notre “vision conventionnelle” de l’histoire et du progrès humain a fait fausse route, qu’elle a généré plus de maux et de catastrophes qu’elle a résolu de problèmes. Pour Gray, le sommet de l’arrogance “linéaire-progressiste” a été commis par l’équipe néo-conservatrice (et anciennement trotskiste, ce qui explique sa volonté enragée de tout bousculer et de faire table rase de tous les résidus du passé, y compris les plus vénérables) autour de Bush, avec son projet “PNAC” (“Project for a New American Century”), qui entendaient fermement jeter aux orties tous les principes de la “Realpolitik”, dont le dernier défenseur américain aurait été, prétend Gray, Henry Kissinger. Cet abandon de toute “Realpolitik” signale une volonté de se débarrasser définitivement de toutes les limites imposées par l’histoire et le politique (“das Politische” selon Carl Schmitt ou Julien Freund; les balises ôtées, rien ne doit plus arrêter le flux houleux à trois composantes de l’américanisme planétaire: 1) l’économisme débridé (dont le néo-libéralisme de la “théologie universelle”, dénoncée par Petrella, est l’idéologie la plus parachevée), 2) le moralisme hypocrite inauguré par Wilson pendant la première guerre mondiale et remis au goût du jour par les présidents successifs (la “Croisade” de Roosevelt, les “droits de l’homme” de Carter, les discours apocalyptiques de Reagan avec évocation de l’Armageddon et le néo-conservatisme belliciste du projet PNAC sous Bush Junior); et 3) les propagandes échevelées reposant sur des contre-vérités flagrantes ou des semi-vérités adroitement présentées qui ahurissent la planète entière au départ des officines et agences-mères basées aux Etats-Unis. Nous en sommes là. Et la défaite possible de l’équipe néo-conservatrice, à l’horizon de novembre 2008, n’y changera rien, en dépit des espoirs naïfs des gauches européennes ou des pays en voie de développement.

 

En évoquant la démocratie à sa façon et en revendiquant l’utopie de manière si stupide, Petrella sombre dans un travers que dénonçait déjà Platon: laisser la bride sur le cou au désir (au cheval noir et fou du char de l’âme) et pousser ainsi la République, la Cité, dans les affres de la tyrannie et de la catastrophe. Herbert Marcuse, au demeurant excellent exégète de Hegel dans sa jeunesse et lecteur attentif de Nietzsche, a parié, dans les années 60 du 20ème siècle “pour l’Eros contre la civilisation”; certes, Marcuse entendait dégager l’homme de l’unidimensionalité où l’enfermait une société devenue hyper-technicisée et restaurer ses capacités créatrices, au sens artistique et dyonisiaque de Nietzsche. L’Eros, qu’il définissait comme antidote à l’hypertechnicité contemporaine, n’est nullement l’hédonisme et l’eudémonisme vulgaires qui ont triomphé chez les interprètes paresseux de son oeuvre, insinués aujourd’hui dans tous les rouages de la Cité, après mai 68 et la “longue marche à travers les institutions” des nouvelles gauches (cf. H. Marcuse, “Zur Kritik des Hedonismus”, in: “Kultur und Gesellschaft I”, edition Suhrkamp, Frankfurt a. M., 1965-75). Les “festifs” dénoncés par Muray, surtout dans “Festivus festivus”, l’ouvrage sorti à peine quelques semaines avant sa mort inopinée, sont hédonistes et eudémonistes, donc “anti-politiques”, “impolitiques”, et donnent le ton dans le sillage du maire de Paris Delanoë. Les “festifs” sont les héritiers de ces pseudo-marcusiens qui n’ont pas compris Marcuse ni les autres théoriciens de l’Ecole de Francfort. Et c’est à ces “festifs”, en marge des partis socialistes, démocrates-chrétiens et écologistes que Petrella veut servir son plat, plein de bonnes intentions, voire de quelques intentions pertinentes, mais vilainement, atrocement, gâtées par les sauces frelatées du festivisme.

 

Ces “festifs” représentent l’immense majorité de cette humanité à l’âme dominée par le cheval noir et fou que ne maîtrise pas l’aurige (cf.: Janine Chanteur, “Platon, le désir et la Cité”, Sirey, 1980) et qui bascule dans tous les paradis artificiels possibles et imaginables, dont l’éventail est bien plus vaste qu’aux temps de Platon ou même de Marcuse. Non, Prof. Petrella, il ne faut pas promettre l’utopie mais l’agonalité, le retour à plus d’âpreté politique, à une intransigeance qui puise à Platon (sans platonisme) et Aristote, à Carl Schmitt et à Julien Freund. Il faut bannir de la Cité, non les poètes, mais les festifs et les escrocs, les tyrans esclaves de leurs désirs (dont les tenants de la “théologie universelle capitaliste” qui en sont un avatar contemporain). Dans ce cas, et dans ce cas seulement, nous pourrons réaliser les trois points de votre programme qui ont retenu notre attention.

 

Dimitri SEVERENS.

(Septembre 2008).

 

Références: Riccardo PETRELLA, “Pour une nouvelle narration du monde”, Montréal, Editions “écosociétés”, 2007, ISBN: 978-2-923165-36-3.

mardi, 18 novembre 2008

El "katechon" como idea metapolitica

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El katechon como idea metapolítica

 

 

Por Alberto Buela
Filósofo Argentino

 

El término griego katechon que debe castellanizarse como katechon y pronunciarse katéjon, es el participio presente del verbo katecho (katécho) que significa: retener, agarrar, impedir.

Es el apóstol San Pablo en su segunda carta a los Tesalonicenses, versículos 6 y 7, quien lo utiliza por primera vez como idea de obstáculo, de impedimento, a la venida del Anticristo.

Veinte siglos después, es el filósofo del derecho y jurista alemán Carl Schmitt (1888-1985) quien en varios trabajos suyos recupera la idea de katechon otorgándole una significación politológica. 

Nuestra tarea va a ser exponer primero la versión de San Pablo y las más significativas interpretaciones, luego la del pensador de Plettenberg, para finalmente intentar, nosotros, una lectura metapolítica de la idea  de katechon.

 

Doctrina paulina del katechon

Antes de la parusía o segunda venida de Cristo tienen que suceder dos hechos: la gran apostasía universal, y la manifestación del hombre de pecado llamado por San Juan el anticristo. Pero San Pablo agrega una cláusula para determinar más precisamente todos estos eventos, él transmite a los fieles de Tesalonia la doctrina del katechon.

El texto apocalíptico completo es el siguiente:  

“Hermanos, os suplicamos, por el advenimiento de nuestro Señor Jesucristo y de nuestra reunión con él, que no abandonéis ligeramente vuestros sentimientos, ni os alarméis con supuestas revelaciones, con ciertos discursos o con cartas que se suponga enviadas por nosotros, como si el día del Señor estuviera ya cercano. Que nadie os engañe en manera alguna. Porque antes ha de venir la apostasía y se ha de manifestar el hombre de la iniquidad, el hijo de la perdición. El cual se opondrá y se alzará contra todo lo que se dice Dios, o es objeto de culto, hasta llegar a sentarse en el mismo templo de Dios, dando a entender que es Dios. Vosotros sabéis lo que ahora lo detiene (to katechon), de manifestarse a su tiempo. Porque el misterio de iniquidad ya está actuando. Tan solo sea quitado del medio el que ahora lo detiene (ho katechon). Y entonces se dejará ver aquel inicuo a quien el Señor Jesús matará con el aliento de su boca y destruirá con el resplandor de su venida. Aquel inicuo que vendrá con el poder de Satanás, con todo poder, señales y prodigios falsos. Y con todo engaño de iniquidad para los que se condenan por no haber aceptado el amor de la verdad a fin de salvarse. Por eso Dios les enviará el artificio del error que les hace creer en la mentira. Para que sean juzgados todos los que no creyeron en la verdad, sino que se complacieron en la injusticia.” (2ª Tes. 2, 1-12)     

El contexto de la carta es el siguiente: En la Iglesia de Tesalónica habían sucedido disturbios a consecuencia de la creencia que la segunda venida de Cristo era inminente. Esta señal era perteneciente parcialmente a unos malos entendidos de la 1ª. de Tesalonicenses (4:15 y sigs.), parcialmente a las maquinaciones de los impostores. Fue como una forma de remediar éstos desórdenes que San Pablo escribió su segunda epístola a los Tesalonicenses, introduciendo específicamente en los versículos 6 y 7 su doctrina del katechon como un complemento a su visión apocalíptica. 

Si releemos en forma detenida el contenido de las cláusulas 6 y 7:

Vosotros sabéis lo que ahora lo detiene (to katechon) de manifestarse a su tiempo. Porque el misterio de iniquidad ya está actuando- Tan solo sea quitado del medio el que ahora lo detiene (ho katechon). Y entonces se dejará ver aquel inicuo a quien el Señor Jesús matará con el aliento de su boca y destruirá con el resplandor de su venida.

VUL 2 Thes 2:6 "et nunc quid detineat scitis ut reveletur in suo tempore 7 nam mysterium iam operatur iniquitatis tantum ut qui tenet nunc donec de medio fiat 8 et tunc revelabitur ille iniquus quem Dominus Iesus interficiet spiritu oris sui et destruet inlustratione adventus sui" 

Vemos como aquí el apóstol nos habla de dos tipos de katechon. En el versículo 6 usa una frase con el pronombre neutro to, que traducimos por lo, y en el versículo 7 utiliza el pronombre masculino ho, que traducimos por el.

Al haber utilizado San Pablo en dos versículos seguidos y continuos vocablos personales –ho- como impersonales –to- para referirse al mismo participio substantivado katechon como el obstáculo o el impedimento, muchas han sido a lo largo de la historia las hipótesis para explicar la frase. Hay opiniones para todos los gustos.

Recopilemos algunas interpretaciones del katechon. 

  1. Para la mayoría de los autores latinos y sus traductores el principal impedimento es el Imperio Romano, con sus leyes e instituciones. San Agustín, así como gran parte de los padres de la Iglesia son de esta opinión.

  2. Para el teólogo oficial de la Iglesia, Santo Tomás de Aquino, trece siglos después, también el impedimento era el Imperio Romano, quien luego de su caída se prolongó en la Iglesia, ya que el vínculo con Roma estaba dado por la continuación de la antigua localización en el espacio: La Roma eterna unión  del imperium y el sacerdotium.

  3. Para los teólogos protestantes que vivieron después del siglo XVII, San Pablo se refirió a personas y acontecimientos de su tiempo es así que para ellos, el impedimento son los emperadores Calígula, Tito, Nerón, Claudio.

  4. Otra opinión es la del teólogo B. B. Warfield, quien sugiere que “el poder que lo detiene” es la continuación del Estado Judío, luego que la apostasía judaica se completó y el cristianismo perseguido por Roma y sus emperadores, Santiago de Jerusalén es el que personifica este katechon.

  5. Los teólogos Frame,  Best, Grimn y Sinar, consideran que la fuerza que mantiene el dominio no es otra que Satanás, cuya influencia ya está en el mundo como misterio de iniquidad.

  6. Una opinión totalmente opuesta es la desarrollada por Strobel Trilling, afirmando que es el propio Dios en la persona del Espíritu Santo, la fuerza que demora la parusía que los fieles de la época estaban experimentando.

  7. Tenemos también la opinión de un teólogo como O. Cullman, que se suma a una tradición muy extendida según la cual el obstáculo que retiene es la proclamación del evangelio a todas las naciones por los misioneros cristianos incluida la conversión de Israel.

Luego de esta colección de hipótesis acerca de la naturaleza del katechon, es casi temerario hacer una afirmación categórica, no obstante la de mayor hondura teológica es aquella que sostiene que es Dios mismo a través del Espíritu Santo quien en última instancia permite que el Anticristo se manifieste, luego de poder predicar el evangelio a todas las naciones.

En cuanto a éste último, afirma el prestigioso Dollinger en la Enciclopedia Católica:

“La persona individual de Anticristo no será un demonio, como algunos de los escritores antiguos creían; tampoco será la persona del Diablo encarnado en la naturaleza humana de Anticristo. Él será una persona humana, tal vez de extracción Judía, si la explicación de Génesis 49:17, junto con aquella de la omisión de Daniel en el catálogo de las tribus, como se encontró en el Apocalipsis, sea correcto”.

El Anticristo que se sentará en el trono de Pedro y hará prodigios es denominado por San Pablo, anomos, “el sin ley”, esto último nos da pie para pasar a la teoría de Carl Schmitt.

 

La teoría schmittiana sobre el katechon

El concepto aparece fugazmente mencionado en las breves páginas de "Historiographia in nuce: Alexis de Tocqueville" en el opúsculo "Ex Captivitate Salus" (1946) y desarrollado luego in extenso en voluminoso trabajo sobre  "El Nomos de la tierra" (1952), retomando finalmente el tema en "Teología política II" (1970).

La primera observación que podemos hacer siguiendo las fechas de los trabajos, es que el interés de Schmitt por el tema corresponde a su período de postguerra.

Para nuestro autor las categorías con que se maneja la política moderna no son otra cosa que categorías teológicas secularizadas, en esta tesis se apoya toda su teología política, una de cuyas ideas cardinales es la de katechon.

Es un concepto históricamente decisivo que desde el Imperio Romano,  recorre todo el medioevo cristiano y que tiene como cadena de transmisión, para impedir el avance del mal, la lengua común del derecho romano y un sistema de orden espacio-temporal que ha practicado la ciencia jurídica europea, el ius publicum europaeum, del cual, él Carl Schmitt, se considera su último representante. Como vemos, él se asume existencialmente como un katechon, observación esta última obviada por sus comentaristas. En este sentido no hay que olvidar que él es contemporáneo de Heidegger, de Marcel, de Junger, de Le Senne, pensadores todos que adoptan vitalmente sus propios postulados filosóficos.

Para Schmitt el concepto tiene una pluralidad de significados que ejemplifica con realizaciones históricas. Así, menciona como impedimentos u obstáculos:

  1. Al “Imperio bizantino, que desde Constantinopla regía los vestigios romanos de Oriente, era un Imperio costero. Disponía aún de una poderosa flota y poseía un arma secreta: el llamado fuego griego. Sin embargo, estaba por completo reducido a la defensiva. Así y todo, pudo, en cuanto potencia naval, realizar algo que el Imperio de Carlomagno- pura potencia terrestre- no fue capaz de llevar a cabo; fue un auténtico dique, un katechon, empleando la voz helénica; pese a su debilidad, se sostuvo frente al Islam durante varios siglos y, merced a ello, impidió que los árabes conquistasen toda Italia, De lo contrario, hubiese sido incorporada aquella península al mundo islámico, con completo extermino de su cultura antigua y cristiana, como por entonces ocurrió con el Norte de Africa” (1)

  2. A la Iglesia católica “cuyo poder político no reside en los medios económicos o militares. La Iglesia posee ese Pathos de la autoridad en toda su pureza. Es una representación personal y concreta de una personalidad concreta. Además es portadora, en la mayor escala imaginable, del espíritu jurídico y la verdadera heredera de la jurisprudencia romana. En esa capacidad que tiene para la Forma jurídica radica uno de sus secretos sociológicos. Pero tiene energía para adoptar esta Forma o cualquier otra porque tiene la fuerza de la representación. Representa la civitas humana, representa en cada momento histórico al propio Cristo personalmente” (2) y en su capacidad representativa  radica su tarea de katechon, sobre todo frente a la era del pensamiento económico y la sociedad de consumo.

  3. La Respublica Christiana “que enlaza el Derecho medieval de Gentes con el Imperio romano. Lo fundamental de este imperio cristiano es el hecho de que no sea un imperio eterno, sino que tenga en cuenta su propio fin y el fin del eón presente, y que a pesar de ello sea capaz de poseer fuerza histórica. El concepto decisivo de su continuidad, de gran poder histórico, es el de katechon. Imperio significa en este contexto la fuerza histórica que es capaz de detener la aparición del anticristo y el fin del eón presente, una fuerza qui tenet, según las palabras de San Pablo apóstol” (3). Destaca así mismo a los emperadores medievales Otón el Grande y Federico Barbarroja que con su luchas han aplazado la llegada del Anticristo. Y así lo afirma explícitamente en su conferencia del 11 de mayo de 1951 en el Ateneo de Madrid, titulada "La Unidad del mundo", cuando dice: “Siglos enteros de historia medieval cristiana y de su idea de Imperio se basan en la convicción de que el Imperio de un príncipe cristiano tiene sentido de ser precisamente un tal katechon. Magnos emperadores medievales como Otón el Grande y Federico Barbarroja, vieron la esencia histórica de su dignidad imperial en que, en su calidad de katechon, luchaban contra el Anticristo y sus aliados, y aplazaban así el fin de los tiempos” (4)

Estos ejemplos, los más sobresalientes por su tarea de katechon nos muestran de manera palpable que Schmitt, como buen jurista, finca su teoría a partir del katechon como nomos, como impedimento a la instauración del mal, entendido por él como anomia.

Pero como eminente politólogo que fue sabe que “detrás de toda gran política hay un arcano” y este secreto es la función de la gran política como katechon. Si se prescinde de esto solo se puede hacer surgir políticamente “el cesarismo”, que es una forma de poder no cristiano, separado de una corona real, de un reino y de una misión. Este cesarismo sin misión se expresa, según Schmitt, en “la exclamación de los judíos antes de la crucifixión de Jesucristo: “No tenemos mas rey que el cesar” (San Juan, 19,15)(5).

 

El katechon como idea metapolítica

La metapolítica, según la hemos definido en nuestros trabajos (6), es una ciencia interdisciplinaria que tiene por objeto el estudio de las grandes categorías que condicionan la acción política. Supone una crítica a la cultura dominante que después se proyecte a la realidad de la vida. Es decir, que no puede existir metapolítica sin política, lo que obliga a no pensar al nudo sino en miras a una transformación de la realidad moderna “para suplantar a los gobernantes y mantenedores de la presente conducción”, en palabras de Max Scheler(7).

Al enigma de San Pablo acerca de  nunc quid detineat (lo que ahora detiene) y qui teneat nunc (el que ahora detiene) nosotros, siguiendo en parte a Schmitt en su idea de Grossraum, sostenemos que: Ante el proceso ideológico de globalización anunciado en 1991 por el presidente Busch, padre, en el sentido de la construcción de un one world, un mundo uno, debemos propiciar la construcción de grandes espacios autocentrados y específicamente la de un gran espacio suramericano, como katechon a la “visión fundamentalista de la globalización según la cual éste es el único de los mundos posibles” (8) y su proyecto mundialista de dominación de la tierra bajo un gobierno único. Y decimos un gran espacio y no un Estado solo, porque la época del Estado-nación ya caducó, incluso la de países continente como Rusia, China, India o Brasil. Hoy la acción de un Estado aislado es irrelevante para el gobierno mundial del G8, como poder ejecutivo, el FMI como poder gerencial-financiero o de Davos, como poder deliberativo.

El sentido metapolítico de la idea de katechon lo vislumbramos en la idea de gran espacio, pero no en cualquier gran espacio, sino sólo en aquel que se construya sobre un arcano. Esto es, para la realización de una gran política. "Lo grande nace grande" dice Heidegger, y un gran espacio suramericano tiene que nacer grande, y así comenzar por la alianza de Brasil y Argentina, los dos grandes, hasta extenderse a toda Suramérica. Para ello, poseemos una lengua franca, el portuñol, una historia común económica y cultural  de expoliación y colonización cultural, un enemigo común: el anglosajón, ingleses en el siglo XIX y yanquis en el XX,(9) una religión común: el cristianismo inculturizado de expresión heterodoxa. Genuinas instituciones políticas en común, más allá de la democracia liberal, como la figura del caudillo y su representación por acclamatio. Una masa poblacional hoy (2002) de 330 millones de habitantes. Cincuenta mil kilómetros de ríos navegables en el interior. Con una complementación tecnológica de cada uno de sus diez Estados-nación que parece surgida por azar. Y todo ello localizado en un espacio común de esta isla continental de casi 18 millones de km2, el doble que Europa y, también de los Estados Unidos.

El segundo sentido metapolítico del katechon lo barruntamos nosotros en el hecho que Suramérica forma parte de un espacio cultural mayor que es Iberoamérica; esto es, los pueblos que van desde el Río Grande hasta Tierra del Fuego. Y este espacio tiene un singular destino escatológico que está dado por el esplendor solar de la Virgen Morena de Guadalupe, que como observa el estudioso Primo Siena: “Confirmamos que es la primera vez, en el entero curso milenario de las teofanías marianas, que la imagen de Nuestra Señora aparece encinta como lo fue en el oculto viaje hacia Belén narrado por los evangelistas, o como resulta del maravilloso cuadro solar, presentido en el Apocalipsis por el discípulo predilecto. Existe una correspondencia desde el mil seiscientos entre la Virgen guadalupana y  la “Mujer vestida de Sol” del texto profético” (10).

Es muy probable que este sea el arcano de la gran política que deba darse este nuevo katechon que tiene que ser Nuestra América.

El tercer sentido metapolítico de katechon está dado en la lucha por la pertenencia a un espacio territorial determinado y la conservación del mismo expresado en la defensa de lo que Virgilio llamó genius loci, esto es suelo, clima y paisaje. Hoy el misterio de iniquidad es la idolatría hacia el monoteísmo del libre mercado, que genera el individualismo y el nihilismo social y aquello que lo detiene, quid detineat (to katechon) es la resistencia cultural, ética y espiritual que en el interior del sistema de globalización neoliberal llevan a cabo las personas, los grupos y los pueblos que quieren seguir manteniendo su identidad, su ipse, su sí mismo.

Lo difícil es saber qui teneat (ho katechon), quien lo obstaculiza, y aquí sólo podemos apelar al poeta, que tiene caminos que el filósofo desconoce, cuando decía:

Se necesitaría Roosevelt, ser Dios mismo,
El Riflero terrible y el fuerte Cazador,
Para poder tenernos en vuestras férreas garras.
Y, pues, contáis con todo; falta una cosa: Dios. (11)

 

Notas

 

  1. Schmitt, Carl: Tierra y Mar, Madrid, Estudios Políticos, 1952, pp. 19/20. -

  2. Schmitt, Carl: Catolicismo y Forma política, Madrid, Tecnos, 2000, p.23

  3. Schmitt, Carl: El Nomos de la tierra, Madrid, Est.Const. , 1979, p.38

  4. Schmitt, Carl: La Unidad del mundo, Madrid, Ateneo, 1951,  p.32.-

  5. Schmitt, Carl: El Nomos, op.cit. p.44.-

  6. Buela, Alberto: Ensayos de disenso, Barcelona, Nueva República, 1999, p. 93 a 98. -

  7. Scheler, Marx: El hombre en la etapa de la nivelación, en  Metafísica de la libertad, Bs.As. , Nova, 1960, p.189.-

  8. Jaguraribe, Helio: Argentina y Brasil en la globalización, Bs.As. , FCE, 2001,  p.39.-

  9. Cagni, Horacio: Escritos de política mundial de Carl Schmitt, Bs.As., Heraclés, 1995, p.24.- “El Grossraum es para Schmitt una idea basada en su invariante amigo-enemigo. La enemistad determina el gran espacio”.

  10. Siena, Primo: La Virgen morena y el destino escatológico americano, en revista Disenso N° 10, Bs.As. , verano 1997. - 

  11. Darío, Rubén: Poema a Roosevelt en Cantos de vida y esperanza (1905)

De Rijksgedachte versus Jacobijns nationalisme

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De Rijksgedachte versus Jacobijns nationalisme

Deze tekst is niet bedoeld om de lezer te overladen met historische gegevens of namen en termen waar men niets mee kan aanvangen. Het is wel de bedoeling te wijzen op een aantal tekortkomingen die liggen in het streven naar een natiestaat voor elk volk. Die tekortkomingen worden in belangrijke mate geformuleerd door personen die de zogenaamde Rijksgedachte genegen zijn. Velen hebben jammergenoeg een broertje dood aan ideologische kwesties, nochtans een uiterst belangrijke zaak indien wij in debat treden met andersdenkenden. Op het eerste zicht lijkt dit onderwerp iets dat niet onmiddellijk bruikbaar is in dagdagelijkse discussies over politiek en maatschappij. De termen “Rijk” en “Rijksgedachte” komen bij velen oubollig of soms zelfs verdacht over. Ten onrechte.

Het Jacobijnse nationalisme is als kind van de Franse revolutie en het Verlichtingsdenken een ideologie die dan ook de meeste gebreken uit dit modernisme heeft overgenomen. Om te beginnen is het zo goed als onmogelijk en zelfs onwenselijk dat elk volk in de wereld z’n eigen staat(je) krijgt. We zouden dan naar een wereld met naar schatting 5000 staatjes evolueren waarvan vele zo goed als onleefbaar zouden zijn. Het is verkeerd te denken dat culturele, sociaal-economische, historische, geopolitieke,… grenzen steeds kunnen samenvallen. Een noodzakelijke voorwaarde is dat we vertrekken vanuit Europees perspectief. Een nationalist in Europa kan het zich zeker in de 21ste eeuw niet langer permitteren enkel met het eigen volk of z’n eigen staat(svorming) bezig te zijn.

De Rijksgedachte komt tegemoet aan een vraag die in Europa al eeuwen gesteld wordt: hoe kunnen we een evenwichtige, niet op dwang gebaseerde orde vestigen die volkeren en culturen van Europa volledig hun identiteitsbeleving waarborgt en hun verlangens en belangen op een stabiele, duurzame wijze federeert? Tegenover een Jacobijnse Europese superstaat en het “Europa van de nationale staten” ontwikkelde zich vooral bij regionalisten en volksnationalisten de visie van het “Europa der volkeren”. In feite zijn deze drie opvattingen nefast voor Europa en haar volkeren! Buiten het feit dat het “Europa der volkeren” vaak neerkomt op een verdediging van volksstaatjes die intern uniformiseren (een gelijkheid nastreven ten nadele van streekeigenschappen zoals dialecten), is het zo dat men bij aanhangers van het “Europa der volkeren” meestal een gebrek aan visie vaststelt over hoe het Europese geheel moet gebundeld worden en kan functioneren. Die bundeling kan in elk geval beter niet op economische grondslagen gefundeerd zijn zoals de huidige EU. Het primaat van het economische is een punt van overeenkomst in de socialistische en liberale ideologie. Europa heeft nood aan een politieke eenmaking, en die is van een hogere orde dan het economische marktgebeuren.

 Een “Europa van nationale staten” is in de praktijk een bestendiging van de macht van de nationale staten met hun soms tegenstrijdige belangen waardoor de Europese cultuurgemeenschap nooit een vuist kan maken tegen externe bedreigingen. Het is dan ook in belangrijke mate anti-Europees. Een unitaire Europese superstaat is onwenselijk omdat dit de culturele, historische, sociaal-economische,… verschillen tussen de Europese volkeren volledig negeert en hen fundamentele rechten op hun niveau ontneemt door een overdreven centralisering van de macht. Zowel het “Europa van de 100 vlaggen” enerzijds als het confederale Europa van de nationale staten of één unitaire Europese superstaat anderzijds, zijn in het nadeel van zowel de Europese volkeren, als van een sterk en stabiel Europa. De ideale oplossing ligt ergens tussenin, en kan onmogelijk een beroep doen op de staatsnationalistische erfgenamen van de Jacobijnen.   

Daarom is het van belang de Rijksgedachte als uitgangspunt te nemen voor een hedendaags, sterk Europa dat de diversiteit van z’n volkeren garandeert en deze volkeren op de juiste niveaus verenigt. “In dit Europees Rijk moet de eigenheid der volkeren –niet der staten en staatjes- weer tot uiting komen. In dit Rijk zal de “heimatkultuur” weer een voorname plaats moeten krijgen. (…) Het moet samengesteld worden uit levende, volkse, kultuurkringen waarin de volkse eigenheid weer tot volle bloei kan komen. Deze geest moet ook in de Nederlanden terug levend worden.” [1] Binnen een Europees imperium vindt geen uniformisering plaats, niet ieder volk bekomt hetzelfde (zoals in het “Europa der volkeren”) maar wel “elk het zijne”. Een Europees Rijk is niet op te vatten als een territorium maar wel als een orde en een Idee. Het is een open systeem waar volkeren vrijwillig in toetreden. Binnen dit Europees Rijk is het perfect mogelijk dat grenzen, culturen, talen en economische systemen veranderen. Europa is nooit “af” maar verkeert voortdurend in een wordingsproces. Om de betekenis van de Rijksgedachte ten volle te kennen zijn een aantal begrippen noodzakelijk:

1. De organische natie:

Een organische visie op wat een natie is, betekent het aanvaarden dat men als persoon niet buiten een aantal determinismen kan: niemand kan z’n ouders en geboorteplaats kiezen, niemand kan z’n moedertaal en basisopvoeding kiezen. Doordat geen enkele persoon als een geïsoleerd wezen geboren wordt, maakt iedereen vanaf de geboorte deel uit van een welbepaalde gemeenschap. Elke persoon vormt een “orgaan” van het grotere lichaam, de gemeenschap. Dit natiebegrip maakt zoiets als naturalisaties in feite onmogelijk. Tegenover dit organisch natiebegrip kan met het Jacobijnse anorganische natiebegrip plaatsen. Binnen deze visie kan een individu tot een natie gaan behoren als hij/zij voldoet aan een aantal voorwaarden die de staat oplegt en die door politici naar hartelust veranderd kunnen worden. Ook nationalistische partijen zoals N-VA en Vlaams Blok volgen –jammergenoeg- deze Jacobijnse visie: als een vreemdeling zich assimileert (onze taal leert en onze gebruiken, waarden, normen,… aanvaart) kan hij/zij deel uitmaken van de natie. In een organische visie daarentegen kan een neger of een Chinees dan ook geen Vlaming worden. Integenstelling tot het Jacobijnse nationalisme waar enkel de band tussen individu en natie(-staat) in rekenschap wordt genomen, wordt in een organische visie op “natie” ook aan tussenstructuren belang gehecht: regio’s, gemeenschappen, gemeenten en wijken. De samenleving wordt aanzien als opgebouwd uit concentrische cirkels rond een persoon.

In een organische opvatting is het dan ook evident dat de volkeren, regio’s en Rijksdelen samenwerken en elkaar aanvullen waar mogelijk. Ze zijn niet enkel een culturele, etnische familie. Doordat culturele, economische, geopolitieke,… grenzen niet kunnen samenvallen en er grensoverschrijdende realiteiten bestaan, is het noodzakelijk dat lokale gemeenschappen en structuren zelf samenwerkingsverbanden kunnen aangaan met elkaar, bijvoorbeeld via verdragen. Een goed voorbeeld daarvan is wat wij in ons land kennen als intercommunales (los van het financieel profitariaat dat er voor vele politici mee samengaat). Enkel wanneer het afsluiten van dergelijke samenwerkingsverbanden (tussen “de organen”) risico’s inhoudt voor het groter Rijksgeheel (“het lichaam”), moet een centrale leiding een dergelijke mogelijkheid tot ontwrichting onmogelijk maken.

2. Federalisme:

Federalisme kan hét “organisatiesysteem” bij uitstek zijn voor een Europees imperium. Dit federalisme dient per definitie organisch en asymmetrisch te zijn. Dit betekent dat de relaties tussen de deelstaten onderling en tussen hen en het Rijk niet allemaal gelijk zijn. Deze ongelijkheid impliceert geen discriminatie maar wel het ten volle respecteren en uitdragen van de culturele en historische eigenheden van een regio. Het statuut van deelstaten kan onderling erg verschillend zijn. Er is dus minder bestuurlijke eenvoud maar in het Rijksdenken krijgen cultureel-etnische factoren voorrang op bestuurstechnische. Het federalisme dat men vandaag in de meeste zichzelf federaal noemende staten terugvindt is vals. Dit geldt zeker voor de belgische staat, waar het federalisme enkel dient om deze staat langer in leven te houden. Het feit dat belgië geen asymmetrische regeringen verdraagt ( noemenswaardig verschillende coalities op federaal en deelstatelijk niveau) zegt voldoende.

3. Subsidiariteitsbeginsel:

Dit beginsel heeft z’n wortels in de katholieke maatschappijvisie en moet een antwoord geven op de vraag waar het best een beslissingsbevoegdheid ligt in een hiërarchie. Kern van het subsidiariteitsprincipe is dat het beleid en de beslissingen geen vorm mogen krijgen op een hoger niveau (verder van de bevolking verwijderd) dan strikt noodzakelijk. Er wordt vanuit gegaan dat de beslissingen genomen worden door hen die er direct belang bij hebben en er het meest de gevolgen van ondergaan. In tegenstelling tot het Jacobijnse denken over de natiestaat, wordt in het Rijksdenken geen enkel niveau als absoluut gesteld. Ieder bestuursorgaan heeft een aanvullende taak volgens een welbepaalde hiërarchie van basis naar top. Dat de huidige EU-bureaucratie zich ondermeer bezighoudt met pakweg het gewenste gewicht van een koekjesdoos, stemt tot nadenken over haar bevoegdheden en het verwaarlozen van het subsidiariteitsbeginsel.

De Rijksgedachte is in feite de verderzetting van de Romeinse imperiale traditie waar Julius Evola reeds op wees. Een Rijks-Europa mag onder geen beding zich afkeren van macht en het willen verwerven ervan. "Als Europa geen macht wil zijn zal het de macht van een buiten-Europese staat ondergaan – de macht van de USA” zo stelde Luc Pauwels het.[2] Er moet evenwel op gewezen worden dat het verdedigen van de vorming van een Europees imperium geenszins een pleidooi betekent voor Europees imperialisme, het is wel imperiaal. Dit betekent dat Europa intern stabiliteit en harmonie moet nastreven, maar extern niet aan machtsuitbreiding kan gaan doen in de zin van agressiepolitiek of veroveringsdrang.

Conclusie: De Rijksgedachte biedt een uitweg voor een sterk eengemaakt Europa zonder dat de culturele verscheidenheid binnen Europa verloren dreigt te gaan. Het biedt een antwoord op de kwestie van het Amerikaans cultuurimperialisme en het vasthouden aan belangen van Jacobijnse nationale staten die Europa niet verder willen zien gaan dan een intergouvernementele confederatie. De Rijksgedachte ligt in het verlengde van onze solidaristische en nationaal-konservatieve visie. Door toepassing van de verscheidene beginsels die de Rijksgedachte schragen, kunnen Jacobijnse nationale staten meer en meer uitgehold worden. Rijksdenken komt tegemoet aan etnisch nationalisme dat identiteitsbescherming vooropstelt. Het botst met burgerlijk nationalisme dat gebaseerd is op waarden van 1789. Het is juist dat de Rijksgedachte op zich voorlopig weinig bruikbaar is in dagdagelijke politiek. De visie en begrippen die er de grondslag van vormen zijn echter zeer zeker bruikbaar.

Fritz

Bronnen:

De Herte R., Oui à l’Europe fédérale. In : Eléments, nr.96, nov. 1999, p.3
De Hoon F., Christoph Steding, de Rijksgedachte en de Nederlanden. In: TeKoS, nr. 47, 1987, pp.39-48
Pauwels, L., Maastricht: ja toch. Over de lange weg van de liberale E.E.G. naar de Europese Rijksgedachte. In: TeKoS,
Steuckers, R., Définir la subsidiarité. In : Nouvelles des Synergies Européennes, nr.17, jan. 1996, pp.19-21
De Hoon F., Christoph Steding, de Rijksgedachte en de Nederlanden. In: TeKoS, nr. 47, 1987, p.44
Pauwels, L., Maastricht: ja toch. Over de lange weg van de liberale E.E.G. naar de Europese Rijksgedachte. In: TeKoS

dimanche, 16 novembre 2008

Douze thèses pour un gramscisme technologique

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Douze thèses pour un gramscisme technologique

Journée d’étude sur la réinformation, organisée le 25 octobre 2008 par la Fondation Polémia Communication et Conclusion de Jean-Yves Le Gallou

L’intitulé de cette communication me conduit à l’introduire par un double rappel historique.

D’abord par l’évocation d’Antonio Gramsci, référence intellectuelle du parti communiste italien dans les années 1920, surtout connu par ses  « Ecrits de prison », œuvre dans laquelle il s’interroge sur l’absence de la révolution mondiale prônée et annoncée par Marx et sur le maintien des institutions capitalistes. Pour Gramsci, la suprématie de la bourgeoisie s’explique certes par la force mais aussi et surtout par le consentement du prolétariat ; consentement obtenu par « l’hégémonie culturelle ». Selon Gramsci, pour imposer ses vues et sa direction à la société, une oligarchie dominante doit d’abord faire prévaloir ses valeurs et sa conception du monde.

Cette conception métapolitique a été reprise, dans les années 1965/1985, par le courant de la Nouvelle Droite pour qui la bataille des idées primait sur la bataille politique. « Le Figaro Magazine », à l’époque de Louis Pauwels, fut le fer de lance médiatique de cette stratégie avant d’être « normalisé » par le pouvoir publicitaire qui en a fait un produit tristement banal.

Il m’a paru intéressant de porter ce type de regard métapolitique sur la situation actuelle et d’examiner les différents moyens que les nouvelles technologies peuvent offrir dans la lutte contre l’idéologie dominante.

Cela sera l’occasion de développer douze thèses pour un gramscisme technologique.

1re thèse : Les instruments utilisés pour influencer l’opinion n’ont jamais été aussi puissants.

D’abord, parce que le temps passé devant la télévision représente aujourd’hui en France près de 20% de la vie éveillée de nos compatriotes (40% du temps hors transports et travail), et que les producteurs d’émissions de télévision se servent de l’information pour faire passer leurs opinions et du divertissement pour promouvoir leurs valeurs (ou antivaleurs).

Ensuite, parce que les crédits consacrés à la communication et à la publicité n’ont jamais été aussi importants et représentent aujourd’hui plusieurs points du produit intérieur brut (PIB). Or publicité et communication ne se contentent pas de promouvoir des produits commerciaux ou politiques, elles véhiculent aussi des images et des valeurs. Télévision, publicité et communication sont d’ailleurs d’autant plus efficaces pour influencer l’opinion qu’elles agissent davantage au travers de l’émotion qu’au travers de la raison.

Enfin, pour compléter le dispositif du totalitarisme soft, l’école et l’entreprise sont aussi mobilisées au service du conformisme dominant.

2e thèse : Ces moyens d’influence ont été utilisés par les élites dominantes pour imposer une idéologie de rupture avec les traditions du passé.

Au début du XXe siècle, de bons auteurs s’inquiétaient de La Révolte des masses (Ortega y Gasset), mais c’est à La Révolte des élites que nous assistons depuis quarante ans. Pour Christopher Lasch, ce sont les élites économiques, médiatiques et politiques qui imposent aux peuples une idéologie de rupture avec le passé.

Pour Polémia, http://www.polemia.com/search.php, « la tyrannie médiatique » impose le carré carcéral de l’idéologie dominante et ses 4 dogmes :

– les bienfaits de la mondialisation ;
– la rupture avec la tradition ;
– la gauche présentée comme ontologiquement meilleure que la droite ;
– l’antiracisme et la culpabilisation des peuples.

3e thèse : L’idéologie politiquement correcte n’est pas seulement dominante, elle est aussi devenue idéologie unique.

« La plus grande ruse du diable est de faire croire qu’il n’existe pas », dit-on. La force de l’idéologie politiquement correcte est d’avoir imposé l’idée que les débats idéologiques étaient dépassés. Mais comme l’a finement observé Dominique Venner dans « Le Siècle de 14 », nous ne vivons pas dans une société a-idéologique mais dans une société saturée d’idéologie, d’une idéologie unique.

C’est pour cela qu’il n’y a plus de débat idéologique dans les grands médias puisque seuls peuvent s’exprimer – y compris dans les pages « opinions » des quotidiens – ceux qui respectent les canons de l’idéologie unique.

Depuis 1968, en quarante ans, sur fond de répression judiciaire et de bannissement intellectuel, politique ou médiatique, la liberté d’opinion et la diversité d’expression n’ont cessé d’être réduites.

4e thèse : L’apparition et le développement d’Internet change la donne dans la bataille des idées.

La « révolte des élites » a été imposée aux peuples par l’intermédiaire des grands médias centraux : télévisions, radios et grands journaux ; leur mode de fonctionnement est vertical : l’information part d’un émetteur et descend vers un récepteur.

Internet inverse le rapport de force entre le centre et la périphérie. Sur Internet chacun est à la fois récepteur et émetteur.

Le monopole de la presse est ainsi brisé. Jean-Paul Cluzel, président de Radio France, en fait le constat désabusé dans « Les Echos » du 14 octobre 2008 : « Sur les sites Internet, les internautes, les jeunes en particulier, trouvent une information brute qui leur paraît plus objective et plus honnête. »

Plusieurs caractéristiques d’Internet contribuent à briser le monopole de l’idéologie unique diffusée par l’hyperclasse mondiale :

– d’abord, Internet permet l’extension de la parole privée qui, par nature, est plus libre que la parole publique ; l’usage du pseudonyme peut encore renforcer cette attitude ; et les tabous qui s’imposent dans la vie quotidienne existent moins, voire pas du tout, sur Internet ;

– ensuite, Internet permet une propagation virale des messages ; propagation qui peut être extrêmement rapide et qui contraint de plus en plus souvent les médias centraux à diffuser des informations initialement occultées ;

– enfin, les moteurs de recherche n’ont pas – pas encore en tout cas – de conscience politique, ils sont neutres : un fait ou une analyse non conformes ont donc une bonne espérance de vie et de développement sur Internet.

 

5e thèse : Internet est un instrument de mobilisation de la majorité silencieuse contre les élites, c’est un outil incomparable de démocratie directe.

L’usage et les conséquences politiques d’Internet mériteraient d’être analysés de manière approfondie, notamment au regard des expériences étrangères, mais le temps ne m’a pas permis de procéder à cette étude.

S’agissant de l’expérience française, trois leçons peuvent néanmoins être retenues, à titre d’hypothèses provisoires :

– Lors d’élections présidentielles ou législatives, le jeu d’images (des hommes ou des formations politiques) imposé par les grands médias centraux reste déterminant ;

– Lors d’un référendum, l’ensemble des prises de position politiques, patronales, syndicales, intellectuelles et culturelles s’exprimant dans les grands médias peut en revanche être battu en brèche par les opinions dissidentes, relayées sur Internet. C’est ce qui s’est passé le 29 mai 2005, lors du référendum sur la Constitution européenne ;

– Lors d’actions locales, Internet peut faire éclater la contradiction entre la « révolte des élites » favorables aux ruptures et au déracinement et l’opinion majoritaire qui n’en veut généralement pas. Cela peut servir pour pousser à refuser telle subvention à un groupe de « rap » ou condamner telle attitude trop complaisante à l’égard d’un campement de nomade illégal : car alors le décideur ne reçoit pas seulement les instructions – tacites ou explicites de prétendues « autorités morales » – il est aussi soumis à la pression en sens contraire de la majorité silencieuse.

C’est l’un des grands mérites du mouvement des Identitaires que d’avoir théorisé, mais aussi mis en pratique, cette démarche.

 

6e thèse : Internet est un moyen de s’affranchir de la tyrannie médiatique et de construire sa réflexion et/ou son action de manière indépendante.

L’idéologie unique ne s’impose pas seulement par sa pression omniprésente sur les esprits ; elle s’impose aussi par l’élimination pure et simple de la concurrence : dans les grands médias centraux, les pensées (et les actions) dissidentes sont traitées soit par le silence soit par la diabolisation ; le dilemme  pour les non-conformes est alors le suivant : ne pas exister médiatiquement ou parvenir à l’existence audiovisuelle comme agent du « mal », éventuellement repenti.

Ce phénomène est d’autant plus pervers qu’il structure la représentation et l’action de la dissidence qui se trouve ainsi sommée de choisir entre la pasteurisation de son expression (qui lui fait perdre tout intérêt) et la provocation (qui donne une vision caricaturale des hommes et des idées, surtout quand elle est amenée à être répétée).

Internet permet de construire la représentation de la pensée et de l’action dissidentes autrement que dans une stricte dépendance à l’égard des médias centraux. Internet rend possible une démarche intellectuelle et/ou pratique indépendante de la pression médiatique.

 

7e thèse : Internet est un moyen de contourner le silence médiatique et de redonner le goût de l’action.

Les adversaires de l’idéologie unique sont parfois démotivés : l’« aquabonisme » contribue à la démobilisation. A quoi bon réfléchir ou agir si nul n’en a connaissance ? A quoi sert-il de produire un texte, s’il n’est pas édité ? A quoi sert-il de conduire une opération, si elle n’est pas rapportée ?

Internet permet de contourner le silence des grands médias centraux : l’auteur d’un texte devient son propre éditeur ; l’organisateur d’une action devient son propre narrateur ; et si ce qui a été dit ou fait le mérite, la diffusion en sera largement assurée par la propagation virale.

Certes, cela joue plus à l’échelle des réseaux de proximité que sur un ensemble national ou mondial. Mais une multitude de petites actions valent mieux qu’une… grande inaction ; et de petits tréteaux locaux valent mieux que l’attente eschatologique de la représentation quinquennale du grand spectacle présidentiel.

D’autant que de petites victoires peuvent construire et structurer des réseaux ensuite disponibles pour d’autres batailles.

 

8e thèse : Internet est un moyen de contourner la diabolisation.

Je voudrais ici évoquer avec prudence un sujet que je connais mal et sur lequel, là aussi, la réflexion devrait être approfondie : le web 2.0, les réseaux sociaux, type « Facebook ».

Il est certes facile d’en discerner les limites et/ou les inconvénients :

– faire accéder tout le monde à la « peopolisation » et à ses travers : mais à tout prendre les valeurs véhiculées par une peopolisation de base ont bien des chances d’être plus saines que celles portées par la peopolisation des élites décadentes ;

– permettre une grande visibilité et donc une grande traçabilité de la vie des participants, en raison de leur sortie de l’anonymat ; mais, a contrario, le web 2.0 donne accès à des profils locaux, intellectuels ou professionnels susceptibles d’être facilement joints (et donc éventuellement mobilisés) par courriels.

Toute médaille à son avers : et toute personne incluse dans un réseau social peut ensuite, par petites touches, faire connaître ses préférences personnelles, même lorsqu’elles sont dissidentes, avec un moindre risque de diabolisation parce qu’alors les idées (ou les actions) sont incarnées par une personne, et qu’il est plus difficile de diaboliser son prochain que son lointain.

L’enracinement local a toujours été un moyen de limiter la « diabolisation ». Il en va dans le monde virtuel d’Internet comme dans la vie réelle.

 

9e thèse : Accroître le contenu disponible sur Internet en mobilisant toutes les générations et en mettant en ligne davantage d’essais et d’articles de revue.

La présence et les modes d’expression sur Internet varient naturellement selon l’âge. Mais toutes les générations sont susceptibles d’être mobilisées par le cyber militantisme.

Il y a d’ailleurs un message à faire passer aux hommes de l’écrit traditionnel : Internet n’est pas le concurrent mais le complément du livre ou de la revue.

L’édition classique garde sa place parce qu’elle est plus confortable à la lecture, qu’elle est plus adaptée à des textes longs et reste encore souvent jugée plus valorisante. En l’état actuel des choses, Internet n’a pas vocation à remplacer l’essai ou l’article de fond imprimé.

Pour autant, il est dommage que bien des textes intéressants, importants, voire fondamentaux, ne soient pas disponibles sur Internet. Les arguments malthusiens – à savoir protéger les ventes payantes – couramment utilisés contre la mise en ligne ne sont pas recevables :

– d’abord, parce qu’en matière d’essais et de revues d’idées, il n’y a pas de modèles économiques purement commerciaux qui soient viables ;

– parce que la visibilité sur Internet permet souvent d’accéder à de nouveaux clients, y compris payants ;

– parce que la mise à disposition d’un texte sur Internet lui permet de trouver une nouvelle vie ainsi qu’une diffusion nouvelle ;

– enfin, parce que la mise en ligne de textes supplémentaires augmente le volume de contenus des sites et contribue ainsi à améliorer leur référencement.

Il y a donc, pour la bataille des idées, un champ d’expansion à investir : la mise en ligne de textes écrits aujourd’hui en jachère, au regard de la diffusion numérique

 

10e thèse : Livrer la bataille de l’information équitable.

A la différence des vérités de nature religieuse et des vérités d’ordre scientifique, il n’est en matière d’information et de réinformation que des vérités relatives. Dans l’absolu, une information brute n’existe pas, elle est toujours « anglée ».

Dans la bataille des idées et de l’information, notre objectif n’est pas d’imposer notre point de vue mais simplement de le faire entendre. Bref de réintroduire de la pluralité dans un monde dominé par l’idéologie unique. Beaucoup d’actions – individuelles à effectuer depuis son ordinateur – sont possibles dans ce domaine : nourrir de commentaires les articles des grands journaux, ou compléter l’encyclopédie collaborative Wikipedia. Ces opérations doivent être conduites avec nuance et intelligence : il s’agit non de substituer une opinion à une autre mais de réexposer des faits dans leur pluralité ou de réparer des omissions.

Ainsi, sur Wikipedia, l’action la plus utile n’est pas de chercher à changer, à la marge, les rubriques les plus controversées et donc les plus verrouillées (au risque de s’épuiser dans d’incessants allers et retours) ; l’opération la plus performante sera de faire connaître des auteurs ignorés ou incomplètement présentés, des thèses, des théories aujourd’hui non rubriquées ou insuffisamment développées. Il y a tant de vide (et de cases vides) à combler !

De même, il est possible de « nourrir » le site de vente de livres Amazon de critiques d’ouvrages qui paraissent recommandables. Là aussi cette démarche doit être conduite dans un esprit de réinformation (donner à connaître) et non de propagande (assener une vérité).

 

11e thèse : Développer les synergies et explorer la possibilité d’un site de réinformation professionnel.

L’architecture d’Internet se prête à une logique de gratuité, de bénévolat et de coopération. Des sites sources alimentent des sites majeurs qui sont eux-mêmes  relayés par une multitude de sites rediffuseurs, spécialisés ou localisés.

Ces différents sites doivent pouvoir entretenir sans complexes des liens entre eux sans se laisser frapper de sidération par la crainte de la diabolisation par contamination ; certes, dans ce domaine, un minimum de prudence n’est pas interdit, mais un naturisme décontracté et assumé est préférable à un excès de pudibonderie !

Ce n’est pas à l’idéologie dominante de nous dicter notre carnet de relations ou nos liens numériques ! Ici, la résistance morale doit être au service de l’efficacité.

Reste que les sites majeurs nécessitent des moyens toujours plus importants. De même, un portail européen identitaire comme le suggère Javier Ruiz Portella sur http://www.elmanifiesto.com/ impose de trouver des moyens pour constituer une revue d’articles produits de l’espagnol, du français, de l’italien, de l’anglais et de l’allemand.

Or dans la bataille de l’information sur Internet, les tenants du politiquement correct avancent eux aussi leurs pions : des journaux en ligne tels que Backchich-info, Mediapart ou Rue 89 apparaissent.

Il est clair qu’il y aurait la place – et certains y pensent – pour un « Rue 89 de droite ». Mais est-ce possible ?

Pour faire fonctionner un vrai journal généraliste capable de couvrir sérieusement et régulièrement l’actualité il faudrait au moins une dizaine de permanents, donc de salariés.

Y a-t-il pour un tel projet un modèle économique viable ? Sachant qu’il ne faut compter ni sur l’abonnement payant (ce n’est pas l’esprit des internautes), ni sur la publicité commerciale classique (privative de liberté), ni sur les marchés de complaisance (ni souhaitables, ni possibles).

Quelles ressources peut-on alors envisager ? Le mécénat, les dons et les abonnements volontaires, d’une part ; les liens Google commerciaux, d’autre part ; les ventes de produits dérivés (livres notamment) enfin.

Un équilibre économique et commercial est-il possible dans ces conditions ?
Je l’ignore mais je pense que la question mérite d’être posée et étudiée. Et je propose de faire avancer l’idée d’un fonds de développement des médias identitaires ou d’un fonds de développement de la réinformation.

 

12e thèse : Utiliser le développement de la radio numérique.

La radio numérique terrestre va arriver. Même si cela peut entraîner des coûts supplémentaires elle offre, à terme, une triple opportunité, en particulier pour Radio Courtoisie, dont toute l’action, et pas seulement le Bulletin de réinformation, est une action de réinformation. C’est notamment :

– l’opportunité d’une extension de la couverture territoriale de la radio permettant de toucher à terme plus de 80% de la population ;

– la faculté pour l’auditeur d’écouter la radio en tout lieu (voiture, train, métro) grâce à un terminal de poche ;

– la possibilité, toujours pour l’auditeur, d’interrompre puis de reprendre une émission.

Conclusions

Je ne suis pas naïf.
Je ne crois pas à la martingale toujours gagnante.
Je connais les tentatives de censure et de répression sur Internet.
Je n’ignore pas que ce bel outil peut aussi servir d’alibi à la passivité de l’homme-tronc derrière son écran.
Et je vois chaque jour les puissants investir la Toile où ils ont, là comme ailleurs, l’avantage de l’abondance financière.

Pour autant, alors que depuis quarante ans la pression de l’idéologie dominante, l’idéologie perroquet, n’a cessé de se renforcer, Internet peut bouleverser la donne :

– d’abord, parce que c’est un instrument qui retire du « temps de cerveau disponible » (Le Lay) aux grands médias : c’est toujours ça de pris !

– ensuite, parce que c’est une arme utilisable du faible au fort ;

– enfin, parce que c’est une arme au service des minorités agissantes qui sont aussi celles qui font l’histoire.

Je souhaite donc que le camp libertaro-identitaire ou communautaro-conservateur l’utilise encore davantage, toutes générations confondues.

Je ne peux m’empêcher d’établir un parallèle entre l’arrivée d’Internet dans les années 1995 et la montée progressive des mouvements populistes en Europe : en Suède, en Norvège, au Danemark, aux Pays-Bas, en Flandre, en Suisse, en Autriche, en Italie et même plus récemment en Grande-Bretagne et en Irlande.

Je ne peux m’empêcher d’interpréter non plus, de manière optimiste, les résultats des dernières élections autrichiennes. Les 16/18 ans sont ceux qui passent relativement le moins de temps devant la télévision et le plus de temps sur Internet : or ils ont voté à plus de 50% pour deux partis populistes qui incarnent la liberté et les valeurs traditionnelles de l’Autriche. Ne boudons pas les bonnes nouvelles !

 

de Jean-Yves Le Gallou

La Résistance revisitée...

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La Résistance révisée

 

«Et dans cette nuit de Provence, dans la maison au milieu des oliviers, parmi le joyeux bruit des enfants, je songeais que les lieux de bonheur et de paix ne peuvent éclore et durer si ne se dresse en eux la détermination virile de les défendre. Les lieux de paix ne survivent que par les vertus exigées dans la guerre».

Dominique Venner, Le cœur rebelle, 1994.

 

Dominique Venner était plus que qualifié pour retracer tout au long d'une brillante synthèse ce que fut réellement la Résistance française à l'occupation allemande. Tant de témoignages hagiographiques, tant de livres aux intentions suspectes ont été publiés qu'un nettoyage s'imposait. Et Venner, qui a connu le feu et la prison avant de devenir un historien chevronné (voir Baltikum, ses livres sur les armes et sa belle revue, Enquête sur l'Histoire), est bien the right man in the right place. François de Grossouvre, ce conseiller très spécial de Mitterrand qui se suicida dans son bureau de l'Elysée pour encore mieux marquer le mépris infini que lui inspirait le premier menteur de France et sa clique, avait d'ailleurs encouragé l'ancien activiste dans cette tâche salubre.

 

Venner rend l'hommage qui convient à un homme parti debout et qui retrouva le geste des héros de l'ancienne Irlande ou de l'lnde védidue: la mort volontaire comme ultime gifle à l'ennemi indigne. Grossouvre avait confié à Venner, au cours de multiples rencontres à l'Elysée, que “ce qui fut affreux pour la France après la Libération, c'est le refus de réconciliation du Général de Gaulle avec ceux qui avaient cru placer leur confiance dans le Maréchal Pétain”. Il avait ajouté: «Pendant que les purs patriotes se battaient, les communistes et les ambitieux prenaient les places, réglaient leurs comptes, éliminaient leurs adversaires, devenaient les nouveaux maitres». Avec pareil mentor, authentique résistant, Dominique Venner ne pouvait, avec son talent et sa combativité, que bouleverser la vision manichéenne des années sombres. Car le plus horrible, dans cette période tragique, c'est précisément cette impitoyable guerre civile que se livrent des Français, souvent au service de l'étranger (anglais, allemand, américain ou soviétique).

 

Le jeu d'Albion et les erreurs de Hitler

 

Venner revèle toutes les ambiguïtés, les mensonges sur lesquels repose encore le régime actuel. Pour ce faire, il a rencontré de grands acteurs du drame: Rémy, Frenay, Fourcade,... Et surtout il a reéuni une masse étonnante de témoignages passés sous silence. Les deux premiers chapitres analysent très lucidement les causes de cette Deuxième Guerre civile européenne: le jeu nuisible à notre continent de la puissance anglo-saxonne (et de son futur maître américain) est parfaitement expliqué. Pour les USA, les vues hégémoniques sur l'Europe remontent à 1911 au moins... Les nombreuses erreurs fatales tant de l'Etat-Major allemand sont révélées ainsi que celles de Hitler, qui apparalt ici piètre politique. Si 200.000 Anglais et 100.000 Français ont pu rembarquer à Dunkerque, c'est parce que Hitler désirait encore signer une paix rapide avec l'Angleterre pour pouvoir faire face à Staline. Erreur ahurissante de naïveté politique que de s'attendre au moindre cadeau venant de Londres, qui en acceptant pareille paix, aurait signé son arrêt de mort! Autre erreur monumentale: avoir laissé à la France de Vichy son empire, sa flotte (les Anglais s'en chargeront) et ses troupes coloniales. En fait, l'armistice de 1940 est une défaite allemande sur le plan politique... et le fin renard est ici Pétain. Mais, le livre de Venner, s'il reconsidère le rôle du Maréchal, ne verse pas pour autant dans l'hagiographie larmoyante.

 

Les causes morales de la défaite française de 1940

 

Venner s'étend sur les causes de la défaite de 1940; 100.000 tués en 42 jours de retraite quasi ininterrompue, un pays plongé dans le chaos, un régime effondré. La thèse, rassurante, de l'infériorité matérielle est balayée. Non, la défaite est d'ordre philosophique et idéologique: la IIIième République, qui apparait comme le pire des régimes subi par le peuple français (né et mort d'une défaite, quel symbole!), n'a préparé ni ses cadres ni ses hommes à faire preuve des qualités guerrières indispensables à toute victoire. Officiers encroûtés et conformistes (les bandes molletières!), troupe veule et hyper-individualiste (“J'ai ma combine”): on peut parler d'un effondrement biologique, d'une défaite totale car causée par un manque et d'intelligence et d'instinct. Le philosophe Alain, penseur quasi officiel de ce régime vermoulu, ne s'exclame-t-il pas en 1940: «J'espère que l'Allemand vaincra; car il ne faut pas que le genre de Gaulle l'emporte chez nous. Il est remarquable que la guerre revient à une guerre juive; c'est-à-dire une guerre qui aura ses milliards et aussi des Judas Macchabée» (paroles terribles pour un chantre de l'idéologie républicaine, très éloigné du fascisme en vogue à l'époque). Paul Claudel, qui n'est pas davantage fasciste, le 24 septembre 1940, va encore plus loin: «Ma consolation est de voir la fin de cet immonde régime parlementaire qui, depuis des années, dévorait la France comme un cancer généralisé. C'est fini ... de l'immonde tyrannie des bistrots, des francs-maçons, des métèques, des pions et des instituteurs...» (!!).

 

Quand Vichy préparait la revanche

 

C'est pourtant dans les milieux les plus hostiles au régime parlementaire que se recrutent, dès l'été 40, les premiers chefs de réseaux actifs: cagoulards, royalistes et autres lecteurs fanatiques des Réprouvés  de von Salomon. Les communistes, à ce moment, bougent peu, ordres du PC obligent; seuls quelques-uns désobéissent et planquent des armes en attendant de les utiliser. Les premiers groupes de renseignement et d'action sont tous issus du personnel administratif et militaire de Vichy, et couverts par le Maréchal. Vichy prépare en fait la revanche, tout comme l'Allemagne d'après Versailles. Ainsi Pucheu, Ministre de l'Intérieur de Vichy (fusillé après une parodie de procès à Alger) rencontre Henri Frenay, l'un des grands résistants, et cela à deux reprises en 1942. De même, la fantastique évasion du Général Giraud, qui rendra Hitler furieux, a été préparée à Vichy, au plus haut niveau. Pétain reçoit même l'illustre évadé à déjeuner.

 

Venner montre bien qu'en 42-43, résister ne signifie pas obligatoirement s'inféoder au clan gaulliste ou communiste. Comme information étonnante, Venner cite aussi le cas Canaris, chef de l'Abwehr, qui trahit son pays, manipulé par les Anglais: «Au-dessus de l'Allemagne, il y a la Chrétienté. Cela vaut bien un million d'Allemands», dira-t-il pour se justifier. Effarante naïveté, surtout de la part d'un officier de renseignement! Autre élément bien analysé: la difficulté éprouvée par les polices allemandes et françaises pour infiltrer l'underground communiste, composé d'apatrides réfugiés: Espagnols et juifs d'Europe orientale, milieu qui servira de vivier aux groupes terroristes du PC (la MOI, etc). En quelque sorte, les banlieues de l'époque, déjà quasi imperméables. Le jeu des communistes est bien analysé. Les camarades d'Aragon («Nous sommes les défaitistes de l'Europe (...) Nous sommes ceux qui donnent toujours la main à l'ennemi») attendent sagement les ordres de Moscou pour résister, c'est-à-dire juin 41. Dès cette date, ils se lanceront dans une politique d'attentats sanglants, dans le but de déclencher une répression impitoyable. Ils suivent en cela les directives de Churchill: Mettez l'Europe (continentale) à feu et à sang! Mais n'oublions pas que Molotov, le 18 juin 1940, adresse à Hitler “les plus chaudes félicitations du gouvernement soviétique pour le succès splendide des forces armées allemandes”. Splendide en effet: la Wehrmacht entre dans Paris... Le médecin Thierry de Martel, ami de Drieu la Rochelle, se tue. Peu après l'Humanité reparait et Elsa Triolet publie. Il y aurait encore bien des pages à citer de ce livre exemplaire de courage intellectuel. Venner, tout en exaltant à juste titre l'esprit de résistance, remet les pendules à l'heure en démontrant que toute une caste politico-médiatique, celle de la IIIième République, a annexé sans vergone une Résistance largement mythifiée. Les vrals, les purs, sont morts ou se sont tus, dégoûtés par ce vacarme que nous subissons depuis un demi-siècle. Leur avoir rendu la parole, et leur honneur, est une belle œuvre.

 

Patrick CANAVAN.

 

Dominique VENNER, Histoire de la Résistance, Pygmalion/Watelet, 159 FF.

samedi, 15 novembre 2008

Echapper aux emballements médiatiques

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Echapper aux emballements médiatiques : comment décrypter les faits et les images ?

Ex: http://www.polemia.com

Journée d’étude sur la réinformation, organisée le 25 octobre 2008 par la Fondation Polémia
Communication de René Schleiter

« En 1593, le bruit courut que les dents étant tombées à un enfant de Silésie âgé de sept ans, il lui en était venu une d’or à la place d’une de ses grosses dents. Horstius, professeur en médecine dans l’université de Helmstad, écrivit en 1595 l’histoire de cette dent et prétendit qu’elle était en partie naturelle, en partie miraculeuse, et qu’elle avait été envoyée de Dieu à cet enfant pour consoler les chrétiens affligés par les Turcs. (…). En la même année, afin que cette dent en or ne manquât pas d’historiens, Rullandus en écrit encore l’histoire. Deux ans après, Ingolsteterus, autre savant, écrit contre le sentiment que Rullandus avait de la dent d’or et Rullandus fait aussitôt une belle et docte réplique. Un autre grand homme, nommé Libavius, ramasse tout ce qui avait été dit de la dent, et y ajoute son sentiment particulier. Il ne manquait autre chose à tant de beaux ouvrages, sinon qu’il fût vrai que la dent était d’or. Quand un orfèvre l’eut examinée, il se trouva que c’était une feuille d’or appliquée à la dent, avec beaucoup d’adresse ; mais on commença par faire des livres, et puis on consulta l’orfèvre. »
Eh bien voilà un orfèvre qui à la fin du XVIe siècle savait déjà décrypter les infos.

Cette anecdote, racontée sous une forme brève et enjouée par Fontenelle dans son « Histoire des oracles » (1687), transposée au XXIe siècle illustre parfaitement un phénomène courant relevé dans les médias : le journaliste présente ou commente un fait qui lui a été rapporté soit, le plus souvent, par une dépêche d’agence, soit par un confrère qui a déjà traité le sujet dans une autre publication, sans même s’être assuré au préalable de la réalité ou de l’exactitude de l’info. C’est ce que certains appellent « l’inceste entre journalistes ».

Commençons par les images.

– La manipulation la plus grossière passe par la présentation d’images d’archives (sans qu’il en soit fait mention) destinées à illustrer un événement ou des faits qui viennent de survenir. C’est hélas souvent le cas pour des scènes de guerre sur des théâtres d’opération lointains, en l’absence de journalistes sur place ou plus simplement pour mieux sensibiliser le public avec des images chocs.

– Plus raffinée est celle qui consiste à utiliser une bonne photo prise effectivement sur les lieux et au bon moment, mais dont on aura modifié le cadrage ou le champ de vision pour les besoins d’une légende orientée. J’ai retenu trois exemples pour illustrer cette dernière forme de manipulation, sans avoir malheureusement ici avec moi les documents photographiques pour vous les montrer.

1er exemple: la scène se passe le 1er octobre 1938 à la frontière germano-tchécoslovaque, lors de l’entrée des troupes allemandes dans le territoire des Sudètes.
Une première photographie extraite du livre de Robert T. Elson, « Prelude to war » (1977) représente trois Allemandes des Sudètes, appartenant à la communauté germanique vivant en Tchécoslovaquie, qui acueillent les troupes allemandes avec joie. Une des trois femmes pleure d’émotion. Sa légende est la suivante : « Trois femmes sudètes, l’une saisie par l’émotion, saluent le bras tendu et rendent hommage à la Wehrmacht qui entre dans la ville frontière de Cheb. »
Une deuxième photographie, tirée de la précédente, apparaît cette fois dans un manuel d’histoire des classes de première (1988), dû notamment à M. Jean-Pierre Azéma, à l’époque directeur de recherches à l’Institut d’histoire du temps présent présidé par le professeur René Rémond. Cette image, par rapport à la première, est amputée et ne montre que la femme qui pleure, avec cette légende surprenante : « La résignation déchirante d’une Tchèque contrainte de saluer l’entrée de la Wehrmacht en pays sudète le 1er octobre 1938. »

2e exemple : Tout le monde se souvient de Timisoara et de son charnier. C’était en décembre 1989. La révolution était en marche en Roumanie et la fièvre avait gagné l’Occident : on zappait les journaux télévisés et on sautait d’une radio à l’autre. La presse s’était déchaînée. La plus grosse affaire fut celle de la ville de Timisoara. Les caméras ont montré quelques corps exhumés d’un charnier dont les informateurs ont dit qu’il contenait jusqu’à 4.350 morts. Déjà une question pouvait se poser : « Comment a-t-il été possible d’exhumer autant de corps en une nuit ? » Et puis, on a montré les émeutes de Bucarest où ont été dénombrés 5.000 morts, 12.000 Roumains ayant été exécutés dans le pays par la Securitas, la police de Ceaucescu. Or malgré cette répression massive qui n’aurait duré que 48 heures, la foule, toujours selon les télévisions envoyées sur place, envahissait les rues. Cette foule dans les rues et 12.000 exécutions étaient-elles conciliables ? Au hit-parade de l’exagération, la première place a été conquise par la télévision hongroise qui a annoncé 60.000 morts et 300.000 blessés, pendant que les médecins occidentaux aux micros des mêmes télévisions affirmaient que les hôpitaux avaient bien en main la situation. L’emballement des chiffres étant rapidement retombé, les chiffres officiels sont parus. Selon le ministère roumain de la santé, 776 morts et 1.600 blessés hospitalisés ont été recensés. Même si ces chiffres étaient minorés, ils étaient encore loin de ceux annoncés par nos médias en plein délire et sans la moindre vérification. Après plusieurs semaines, ils ont été contraints de revenir sur leurs déclarations et les journalistes qui étaient à Timisoara ont avoué que le spectacle des corps exhumés étaient un montage pur et simple puisqu’ils étaient en vérité des dépouilles qui sortaient de l’institut médico-légal local.

3e exemple : Cette fois nous sommes à Bagdad, place Fardous, le 9 avril 2003, jour où a été déboulonnée la statue de Saddam Hussein. Très rapidement on a su que ce déboulonnage était un « bidonnage » bien monté par les « Opérations psychologiques » (PSYOP) de l’armée états-unienne. Une fois encore des images fabriquées ont trompé les téléspectateurs :
Plans rapprochés. Une foule d’Irakiens en liesse s’est réunie pour abattre le tyran. Les forces d’invasion leur prêtent un engin chenillé de dépannage, lancent une amarre et jettent à terre l’effigie du vaincu. La foule danse, s’agite, trépigne et, folle de joie, escalade le blindé. Interprétation : Les Irakiens sont contents, ils sont libérés.
Il est toutefois permis de se poser des questions.
Pourquoi les GIs, qui tirent sur à peu près tout ce qui bouge, y compris les délégués de la Croix-Rouge et les journalistes indépendants, acceptent-ils aussi sereinement la proximité d’une foule ? Un « kamikaze » pourrait s’y dissimuler.
Pourquoi n’avons-nous droit qu’à des plans rapprochés, qui ne donnent aucune information sur le contexte, ni sur le nombre des « manifestants » ?
La réponse nous est donnée par une autre photo du tournage :
Un plan large. Il éclaire l’événement qui montre un plan beaucoup plus large, et permet de comprendre comment « on » mystifie les téléspectateurs. Les « manifestants » sont tout au plus une trentaine. Tandis que les « journalistes embarqués » filment en plan rapproché pour le compte des PSYOP, l’ensemble du périmètre est bouclé par des chars et des transports de troupes.

Et maintenant les faits et l’écrit

Pour les faits proprement dits, c’est un peu différent. Il ne s’agit pas là de remettre en cause des faits patents mais de jauger les appréciations et les interprétations qui en sont faites. Encore que l’on ait connu de vraies fausses nouvelles et de fausses interviews !

J’ai retenu, là encore,  trois événements :

1er exemple : La visite de Nicolas Sarkozy en Chine, en novembre 2007 :
Volontiers cocorico, les médias français se cantonnent, en les optimisant, à relater les victoires commerciales des produits phares de nos fleurons industriels.
C’est ainsi que lors de son premier déplacement officiel en Chine de novembre 2007, le président de la République paraissait avoir rempli pleinement sa mission, en annonçant la signature de 20 milliards d’euros de contrats par les sociétés françaises avec la République populaire de Chine : 160 airbus, 2 EPR d’Areva, fourniture d’électricité par EDF etc. C’est un rituel, les voyages d’Etat s’accompagnent d’annonces de montants impressionnants de contrats.

Qu’en est-il réellement ?
Quelques semaines plus tard, au hasard d’une lecture de la presse économique, on découvre des analyses de journalistes spécialisés qui montrent que ces derniers ne croient rien des annonces de l’Elysée : Areva avait signé depuis plusieurs mois la vente des deux EPR et les 160 airbus avaient été négociés depuis longtemps… Pour les besoins de la cause, l’Elysée avait mélangé un peu tout pour parvenir au montant record de 20 milliards d’euros de contrats annoncés.

2e exemple : L’agression de trois jeunes juifs dans le XIXe arrondissement le 6 septembre 2008.
Les violences ont dans un premier temps été présentées comme un acte antisémite, dans la mesure où les trois victimes portaient une kippa. C’est d’ailleurs ce détail qui a été présenté en boucle toute la journée du lendemain dans les bulletins d’information de France-Info.
L’enquête a montré qu’il n’en était rien. Signe de la complexité de la situation, un des cinq agresseurs mis en examen est de confession juive.
Voilà un bel exemple d’emballement médiatique. « Le Monde », lui-même, a titré sa une du 18 septembre : « Paris XIXe, un emballement aux effets pervers. » En effet, dès que l’événement a été connu, les radios et les télévisions, les élus locaux, les partis politiques, les associations antiracistes, le maire de Paris qui a été le premier à lancer un communiqué, la ministre de l’Intérieur, le grand rabbin et la présidence de la République ont dénoncé « ces actes inqualifiables » et condamné « avec la plus grande fermeté les violences perpétrées à l’encontre de trois jeunes qui se rendaient à la synagogue ». En effet, tout ce que le pays comptait d’autorités morales s’y est mis, en négligeant les réserves très prudentes de la police et du procureur de la République, dès le premier instant, sur le caractère antisémite de l’agression.
Il aura fallu une dizaine de jours pour que le maire de Paris se défausse sur le cabinet du préfet de police qui l’avait mal informé et que Madame Alliot-Marie se défende de toute idée de précipitation, ne s’étant prononcée qu’à partir de ce que lui rapportent ses services. 

3e exemple : La Marseillaise sifflée
Tout le monde se souvient des faits : 14 octobre dernier, stade de France, rencontre amicale de football France-Tunisie. Sifflets massifs de la Marseillaise chantée par Lââm, chanteuse d’origine tunisienne, en provenance des gradins.
Là encore, on a assité à un emballement médiatique, mais cette fois peut-être prémédité et organisé.
Le lendemain, Sarkozy et son gouvernement, en pleine crise financière, a transformé en affaire d’Etat les sifflets de la veille. Tous ont rivalisé d’indignation, alors que lors de matchs précédents, France-Algérie et France-Maroc, le même phénomène n’avait pas fait sourciller quiconque.
En fait le gouvernement a semblé s’y être préparé. Sarkozy avait prévenu qu’il frapperait fort à l’occasion des prochains sifflets lancés dans un stade contre l’hymne national. Dès la survenance de l’incident le soir du 14, les ministres concernés, qui disposaient d’informations fournies par les services du ministère de l’Intérieur qui avaient repéré dans les heures qui ont précédé le match une mobilisation « anti-marseillaise » sur internet, sont sur le pied de guerre. Chacun apportera sa réponse.
Interprétation : faire diversion, car lundi 13 la bourse monte, mardi 14 elle rechute.

 

Alors, comment décrypter les images, les faits et leur usage par les médias ?

Hélas, je ne crois pas qu’il y ait une recette universelle. C’est essentiellement une question de flair ou d’état d’esprit, sans pour autant tomber dans le soupçon permanent, sinon lire ou voir deviendrait un supplice. En revanche, il y a quelques questions qu’il faut se poser quand on a un doute ou devant une situation qui paraît étrange.
Il y a néanmoins un postulat qu’il faut avoir en permanence à l’esprit : les mensonges, notamment au bénéfice de la politique du gouvernement et des idéologies qui concernent l’immigration, le racisme, l’antisémitisme et ses sous-produits et les travestissements flagrants de la réalité ont tous un but immédiat : décerveler le peuple chaque jour un peu plus pour obtenir de chacun qu’il croie ce que la raison d’Etat lui sussure par le truchement des médias dévoués et serviles. On comprend ainsi l’obsession médiatique de Nicolas Sarkozy qui non seulement les surutilise à son profit, mais aussi tente de les regrouper pour mieux les contrôler.

Revenons aux images

Les images dont on connaît la force sont beaucoup utilisées. Nombreux sont les sites internet, comme par exemple Polemia.com, qui les produisent pour illustrer leurs communications. Mais il y a un danger à cet usage car il y a toujours le risque qu’elles soient employées à des fins trompeuses. On l’a vu.

Quelques précautions à prendre :

1) Se demander où est la caméra, où sont ses opérateurs ;
S’imaginer un champ beaucoup plus large que celui qui est montré et tenter de reconstruire le contexte ;
Décomposer la séquence en plans et se demander s’il est certain que les différents plans ont été tournés au même instant et au même endroit.
On l’a vu dans le déboulonnage de la statue de Saddam Hussein.

2) Essayer de connaître l’origine du document ; par qui il a été créé. La personnalité de son auteur renseignera sur la qualité et la fiabilité du document. S’il s’agit d’une image d’archive exempte de copyright, sa libre utilisation est facilitée. On l’a vu dans la séquence des femmes sudètes.

3) L’image fait partie d’un tout, donc son emploi doit correspondre au sens du contenu du texte qu’elle accompagne . Voir Timisoara ; le public a été abusé avec des images qui ne correspondaient pas aux commentaires.

4) Attention à l’humour, il peut y avoir une perversité subliminale. L’humour n’est pas toujours perçu de la même façon par tout le monde. La caricature d’un personnage peut donner une connotation négative là où le texte qu’elle est censée illustrer lui est favorable.

5) Il y a les montages, ceux qui sont faits pour amuser et ils sont inoffensifs car on les découvre rapidement, mais aussi ceux plus sophistiqués qui relèvent de la propagande, donc moins décelables.

6) Echapper à l’émotionnel. C’est le plus difficile : quand l’image touche l’émotivité, attention, méfiance.

Les faits et l’écrit

1) Ne pas se laisser impressionner par des commentaires partisans : les faits, rien que les faits !
Un exemple tiré du journal « Le Monde » du 21 octobre : « La Russie a encore assez de fonds pour financer ce redéploiement de la richesse nationale. Mais ses réserves sont tombées à 530 milliards de dollars contre 600 en 2007 et les prix actuels du pétrole, autour de 70 dollars le baril, ne permettent plus d’équilibrer le budget de l’Etat. S’ils continuent de baisser, Moscou pourrait ne plus pouvoir réorganiser l’économie selon ses volontés. Enfin une bonne nouvelle ! » P. Briançon.

2) Ecarter, là aussi, tout émotionnel et se cantonner au concret.

3) Ne pas se laisser prendre par l’incohérence et les contradictions des communiqués officiels successifs, qu’ils soient émis par la même personne ou non. Cet écueil a été flagrant lors du remous médiatique à l’occasion de la tragique embuscade en Afghanistan de la part des autorités militaires qui avaient bien du mal à masquer leur insuffisance, et au début de la crise actuelle d’il y a deux mois avec les déclarations parfois surréalistes de notre ministre de l’économie, Christine Lagarde, à l’optimisme « inoxydable ».

4) Débusquer l’enflure et ne pas sombrer dans l’emballement. Là encore, ce n’est pas facile. Mais connaissant les deux armes de choc de ce phénomène – les communiqués des politiques qui suivent immédiatement la survenance de l’événement et la répétition effrénée de tel ou tel détail marquant par les médias audiovisuels – il est facile de ne pas tomber dans le piège.

5) Identifier la personnalité de l’informateur. Elle donnera le sens de son message. Voir Bernard-Henri Lévy et son flamboyant reportage sur la guerre en Géorgie publié sur deux pleines pages dans «Le Monde» daté du 19 août.

6) Ne pas hésiter, en toute occasion, à faire des recoupements avec la presse publiée à l’étranger, notamment anglo-saxonne qui est beaucoup plus libérée que la presse continentale.

7) Enfin, il y a les faux documents et les fausses interviews, une des plus célèbres ayant été l’entretien de PPDA avec Fidel Castro en 1991, mais il faut s’appeler Sherlock Holmes pour les découvrir à chaud.

 

René Schleiter

vendredi, 14 novembre 2008

Russie: arrière-cour de l'Europe ou avant-garde de l'Eurasie?

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Archives de "Synergies Européennes" - 1995

 

Russie: arrière-cour de l'Europe ou avant-garde de l'Eurasie?

Wladimir WIEDEMANN

 

Intervention lors de la “Freideutsche Sommeruniversität”, août 1995

 

Lorsque nous évoquons la notion d'Empire, nous devons nous rappeler que ce concept, au sens classique, se manifeste sous deux formes historiques légitimées: une forme occidentale (ou “romaine occidentale”) et une forme orientale (ou “romaine orientale”, byzantine). Ainsi, l'idée authentique d'Empire est liée indubitablement à une perspective téléologique: la réunifica­tion finale de deux parties provisoirement séparées d'un Empire originel. Du moins sur le plan des principes. Car il est bien évident que cette “réunification de l'Empire” ne peut se réduire au niveau d'accords politiques purement formels dans l'esprit d'une diplomatie utilitaire et profane. Néanmoins, ce problème peut et doit être discuté par les deux parties concernées au ni­veau d'une idéologie impériale actualisée voire d'une théologie impériale. Mais qu'en est-il de ces deux parties?

 

La dernière héritière des traditions impériales romaines-occidentales a été la Germanie, tandis que la dernière héritière des traditions romaines-orientales ou byzantines a été la Russie. Comme le philosophe allemand Reinhold Oberlercher le re­marque très justement, les Allemands et les Russes sont les deux seuls peuples d'Europe capables de porter à bout de bras de véritables grandes puissances politiques. Dans son ouvrage Lehre vom Gemeinwesen, il écrit: «En tant qu'Empire (Reich) porté par les tribus de souche germanique, la forme politique propre du peuple allemand a pour mission de constituer un Reich englobant tous les peuples germaniques, lequel devra, de concert avec l'Empire des peuples russes (Grands-Russes, Petits-Russiens et Biélorusses), constituer un Axe de sécurité nord-asiatique et établir l'ordre sur la plus grande masse continentale du monde» (1).

 

Permettez-moi d'étudier plus en détail les thèmes de l'idée impériale en son stade actuel et de la politique impériale de la Russie. L'effondrement de l'Etat communiste a conduit en Russie à un vide idéologique, à la perte de toute orientation géné­rale. Mais on sait pourtant que la nature ne tolère aucun vide. Ainsi, l'antique idée impériale, l'idée d'un Empire religieux-or­thodoxe, dans le contexte d'un nouveau sens historique, doté d'un nouveau contenu social et géopolitique, est en passe de re­naître. De quoi s'agit-il?

 

Bien évidemment, la Russie nouvelle, post-communiste, n'est plus la vieille Russie féodale, tsariste, avec son servage. Aujourd'hui, il n'y a en Russie ni aristocratie ni classe moyenne. Il y a toutefois des intérêts historiques, objectifs et nationaux bien tangibles: ce sont les intérêts d'une nation qui compte dans le monde, les intérêts d'un peuple porteur d'Etat, et ces inté­rêts sont clairement délimités: il faut du pain pour le peuple, du travail pour tous les citoyens, de l'espace vital, un avenir as­suré. Mais pour concrétiser ces intérêts, il y a un hiatus de taille: la nomenklatura paléo-communiste demeurée au pouvoir jusqu'ici n'avait aucun projet social “créatif” et ne voulait que se remplir les poches avec l'argent volé au peuple et, pire, placer cet argent sur des comptes à l'étranger, dans des banques fiables. En d'autres mots: ce nouveau capitalisme spéculateur montre les crocs en Russie: il est incarné par cette nomenklatura, liée à la caste corrompue et bigarrée des “hommes d'affaire”, et parasite sans vergogne le corps d'une Russie devenue “libérale-démocrate” et dépouillée de toutes ses protec­tions. Ainsi, depuis le début de la perestroïka, un capital de 500 milliards de dollars américains a quitté le pays. Le gouverne­ment Eltsine ne dit pas un mot sur ce “transfert”, mais dès que quelques misérables milliards sont offerts à titre de crédit par la Banque Mondiale, il fait battre tambour et sonner buccins!

 

Mais le temps est proche où ces crocs mafieux recevront l'uppercut définitif qui les mettra hors d'état de nuire. Ce coup, ce sont les forces intérieures de la Russie qui le porteront et ces forces sont actuellement incarnées par les nouveaux proprié­taires du capital industriel et producteur. Bien entendu, il s'agit ici, en première instance, du complexe militaro-industriel qui se trouvait jusqu'ici, à titre formel sous contrôle étatique. Quelle sera l'intensité du processus de privatisation dans ce domaine? C'est une question de temps et cela dépend aussi des circonstances globales, politiques et économiques, qui détermineront l'histoire prochaine de la Russie. Mais une chose est claire d'ores et déjà: tôt ou tard, le pays générera une classe de véri­tables industriels et c'est à ce moment-là que naîtra la future grande puissance russe.

 

Je voudrais maintenant parler des fondements géopolitiques, économiques et idéologiques de la grande puissance russe. C'est connu: le bien-être du peuple et la puissance réelle d'un Etat dépend des placements en capital domestique, parce que ces placements garantissent la création de nouveaux emplois et augmente le pouvoir d'achat de la population. Ensuite, il est clair qu'au stade actuel de développement de la production, ce ne sont pas les entreprises moyennes et petites qui s'avèreront capables de générer et de placer de tels capitaux. Seules les très grandes entreprises d'envergure internationale sont en me­sure de le faire, car elles peuvent financer une recherche très coûteuse et une formation de personnel adéquate. Ce sont sur­tout les Américains et les Japonais qui possèdent aujourd'hui des sociétés disposant de telles masses de capitaux et sont ca­pables de faire face dans le jeu de la concurrence planétaire. Ces entreprises sont celles qui créent dans le monde la majeure partie des nouveaux emplois, bien rémunérés.

 

Les centres principaux de production de haute technologie moderne se concentrent de plus en plus dans les zones autour des grandes métropoles des côtes pacifiques, parce que la base du développement d'une production de ce type, c'est l'accès au commerce planétaire. Aujourd'hui, dans ce domaine, c'est le commerce maritime qui joue le rôle-clef, dont les voies de communication sont contrôlées par la politique militaire américaine dans toutes les zones stratégiquement importantes. C'est en constatant ce centrage sur le Pacifique qu'est née la thèse du “Pacifique comme Méditerranée du XXIième siècle”, c'est-à-dire du Pacifique comme nouvel espace où se développe actuellement la civilisation du progrès technique. Si les choses con­tinuent à se développer dans ce sens, les conséquences en seront fatales pour tous les pays européens; ceux-ci seront con­traints, sur le plan économique, à se soumettre à l'hégémonie américaine dans toutes les questions-clefs de la dynamique de la production moderne et aussi pour tous les mécanismes socio-politiques. Ce sera également le problème de la Russie. Mais ce sera justement le “facteur russe” qui permettra aux autres Européens de prendre une voie alternative, qui permettra de libérer toutes les initiatives russes et européennes des diktats américains. Cette alternative, c'est le “commerce continen­tal”.

 

Imaginez un instant que les grandes voies de communications du commerce mondial  —ou du moins celles qui relient l'Europe à l'Asie méridionale et à l'Extrême-Orient (surtout l'Inde et la Chine)—  deviennent continentales. Ce serait là un ac­cès direct et alternatif aux grands marchés qui sont déjà prospères aujourd'hui et qui sont potentiellement de longue durée. Cet accès par voie continentale serait d'abord plus rapide et offrirait des avantages non négligeables à certains technologies qui sont en train de se développer. Sur le plan théorique, tout cela semble séduisant, mais, en pratique, l'essentiel demeure ab­sent, c'est-à-dire un système réellement existant de communications transcontinentales.

 

Pourquoi un tel système de communication n'est-il pas déjà disponible? Parce que la politique extérieure de la Russie bol­chévique-stalinienne a commis une erreur fondamentale. En effet, les communistes ont été perpétuellement induits en erreur par un pronostic illusoire d'origine idéologique, prévoyant une évolution sociale conduisant à une révolution mondiale, qui, elle, allait réaliser l'“Idée” sur la Terre. En d'autres mots, au lieu de détruire la société bourgeoise, l'élite révolutionnaire russe au­rait dû la consolider, afin de concentrer les énergies des masses sur la construction réelle du pays et sur l'exploitation “civilisée” de ses espaces et de ses richesses. La chimère de la révolution mondiale a englouti en Russie de colossales ri­chesses, mais, simultanément, son importance géopolitique en tant que puissance continentale ne pouvait être détruite sur l'échiquier international.

 

L'ancien Empire russe avait justement émergé autour d'un axe constitué par une voie commerciale traversant l'Europe orien­tale, soit la voie ouverte par les Scandinaves et “conduisant des Varègues aux Grecs”. Par une sorte de constance du destin, le devenir actuel de la Russie dépend une nouvelle fois  —et directement—  de l'exploitation efficace d'un commerce transconti­nental, de la croissance de marchés intérieurs au Grand Continent eurasien. Ce destin géopolitique, grand-continental et eu­rasien, les forces réellement productrices de la Russie commencent à la comprendre. Ces forces sont potentiellement géné­ratrices d'Empire et peuvent être définie comme telles. Elles commencent aussi à formuler des exigences politiques propres. Et, à ce propos, Sergueï Gorodnikov, qui a consacré beaucoup d'attention à cette problématique, écrit:

 

«Notre besoin est le suivant: nous devons rapidement construire des structures de transport commerciales paneurasiatiques qui relieront toutes les civilisations créatrices; ensuite, notre besoin est de garantir militairement la sécurité de ces civilisa­tions, ce qui correspond aussi complètement aux intérêts de l'Europe, je dirais même à ses intérêts les plus anciens et les plus spécifiques, tant dans le présent que dans l'avenir. C'est la raison pour laquelle le nationalisme russe ne doit pas seule­ment compter sur une neutralité (bienveillante) de l'Europe dans sa politique d'Etat. Mieux, il trouvera en Europe des forces très influentes qui pourront et devront devenir ses alliés. C'est toute particulièrement vrai pour l'Allemagne qui s'est renforcé par sa réunification et désire en secret retrouver toute son indépendance en tant qu'Etat et toute sa liberté de manœuvre» (2).

 

La nouvelle alliance stratégique paneurasiatique entre l'Est et l'Ouest aura pour élément constitutif l'alliance géopolitique inter-impériale entre l'Allemagne et la Russie, les deux détenteurs de la légitimité impériale romaine en Europe. Ce recours à l'antique légitimité romaine est une chose, la tâche actuelle de cette alliance en est une autre: il s'agit pour elle de fédérer les intérêts économiques et politiques dans une perspective de progrès tecnologique global. Il s'agit de rassembler toutes les forces intéressées à développer l'espace économique eurasiatique. Pour réaliser ce programme, il faudra créer des unités économiques suffisamment vastes pour obtenir les moyens nécessaires à développer des projets de telles dimensions et pour se défendre efficacement contre les résistances qu'opposeront les Américains et les Japonais. Construire des entités écono­miques de cette dimension implique une coopération étroite entre les potentiels techniques russes et européens.

 

Le combat qui attend Russes et Européens pour établir un nouvel ordre paneurasiatique sera aussi un combat contre les rési­dus de féodalisme et contre les formes politiques dépassées à l'intérieur même de ce grand continent en gestation, c'est-à-dire un combat contre les forces qui se dissimulent derrière une pensée tribale obsolète ou derrière un fondamentalisme is­lamique pour freiner par une résistance douteuse la progression d'une culture et d'une économie grande-continentale. Comme le développement de notre civilisation postule des exigences globales, ce combat devra être mené avec tous les moyens di­plomatiques et militaires, jusqu'à la destruction totale des forces résiduaires. Seule une lutte sans merci contre les résidus d'un féodalisme millénaire, contre le “mode de production asiatique”, nous permettra de détruire les derniers bastions du vieux despotisme tyrannique et de la barbarie, surtout sur le territoire de la Russie où, aujourd'hui, ces forces se manifestent sous les aspects de la criminalité caucasienne et asiatique, des sombres bandes mafieuses, résultats de cette peste léguée par le bolchevisme: l'absence de toute loi et de tout droit.

 

Sur ce thème, je me permets de citer une fois de plus Sergueï Gorodnikov: «Il est clair qu'une tâche de ce type ne pourra être menée à bien que par un Etat fortement centralisé selon les conceptions civiles. Un tel Etat ne pourra exister que si l'armée marque la politique de son sceau, car l'armée, de par son organisation interne, est la seule institution étatique capable de juger, étape par étape, de la valeur politique des choses publiques et dont les intérêts sont identiques à ceux de la bourgeoisie indus­trielle en phase d'émergence. Seule une alliance étroite entre l'armée et la politique est en mesure de sauver l'industrie natio­nale de l'effondrement, les millions de travailleurs du chômage et de la faim et la société toute entière de la dégradation mo­rale, d'extirper le banditisme et le terrorisme, de faire pièce à la corruption et de sauver l'Etat d'une catastrophe historique sans précédent. L'histoire du monde dans son ensemble a prouvé qu'il en est toujours ainsi, que les efforts d'une bourgeoisie entreprenante et industrielle ne peuvent reposer que sur l'institution militaire; ensuite, dans la société démocratique, il faudra accroître son prestige social au degré le plus élevé possible et l'impliquer dans l'élite effective de la machinerie étatique» (3).

 

Certes, cet accroissement du rôle socio-politique de l'armée, garante de la stabilité globale de l'Etat dans la situation présente, mais aussi de la stabilité de cette société civile en gestation, implique une légitimisation du statut particulier qu'acquerront ainsi les forces armées. En d'autres termes, il s'agit de créer une forme d'ordre politique où les autorités militaires et les au­torités civiles soient des partenaires naturels sur base d'une séparation de leurs pouvoirs respectifs. Ensuite, un tel régime, qui pourrait être défini comme “régime de salut national”, postule l'existence d'une troisième force, une force intermédiaire, investie de la plus haute autorité dans cette tâche aussi important que spécifique consistant à fixer des normes juridiques. Une telle force pourrait s'incarner dans l'institution que serait la puissance même de l'Empereur, exprimant en soi et pour soi, et en accord avec les traditions historiques dont elle provient, l'idée d'un “compromis mobile” entre les intérêts de toutes les couches sociales. Ainsi, la dignité impériale à Byzance, qui s'est également incarnée dans les réalités de l'histoire russe, pré­sentait quatre aspects fondamentaux. Ce qui revient à dire que l'Empereur russe-orthodoxe devrait être:

1) Protecteur de l'Eglise d'Etat en tant qu'institution sociale (C'est le pouvoir de l'Empereur en tant que Pontifex Maximus).

2) Représentant dans intérêts du peuple (Pleins pouvoirs de l'Empereur en tant que tribun populaire).

3) Chef des forces armées (Pleins pouvoirs d'un Proconsul ou du Dictateur au sens romain du terme).

4) Autorité juridique supérieure (Pleins pouvoirs du Censeur).

 

L'autorité et la stabilité d'un véritable pouvoir d'Imperator dépend directement de la fidélité de l'Empereur aux principes fon­damentaux de la Tradition, au sens théologique comme au sens juridique du terme. C'est pourquoi ce pouvoir dans le contexte russe signifie que, d'une part, le rôle social de l'Eglise orthodoxe devra être fixé et déterminé, de même que, d'autre part, les traditions de la société civile. Une particularité de l'idée impériale russe réside en ceci qu'elle a repris à son compte l'idéal byzantin de “symphonie” entre l'Eglise et l'Etat, c'est-à-dire de la correspondance pratique entre les concepts d'orthodoxie et de citoyenneté, sur laquelle se base également la doctrine russe-byzantine d'un Etat éthique qui serait celui de la “Troisième Rome”, d'un nouvel Empire écouménique.

 

Dans quelle mesure ces idéaux sont-ils réalisables à notre époque? Question compliquée, pleine de contradictions, mais que les Russes d'aujourd'hui sont obligés de se poser, afin de s'orienter avant de relancer le traditionalisme russe et d'en faire l'idéologie de la grande puissance politique qu'ils entendent reconstruire. Le retour de ces thématiques indique quelles sont les tendances souterraines à l'œuvre dans le processus de formation de la société civile russe. Si, en Europe, c'est la culture qui a été porteuse des traditions antiques et donc des traditions civiles, en Russie c'est la religion qui a joué ce rôle, c'est-à-dire l'Eglise orthodoxe; c'est elle qui a fait le lien. En constatant ce fait d'histoire, nous pouvons avancer que la renaissance réelle de la société civile en Russie est liée inévitablement au déploiement de l'héritage antique véhiculé par l'Eglise orthodoxe. Il me semble que l'essentiel des traditions politiques antiques réside justement dans les traditions qui sous-tendent la puissance im­périale au sens idéal et qui sont proches du contenu philosophique de l'Etat idéaliste-platonicien.

 

Quelles sont les possibilités d'une restauration concrète de l'idée impériale civile et d'un ordre impérial en Russie? Ce pro­cessus de restauration passera sans doute par une phase de “dictature césarienne”, parce que, comme l'a un jour pertinem­ment écrit Hans-Dieter Sander, on ne peut pas créer un Empire sans un César. En effet, seul un César, élevé légitimement au rang de dictateur militaire, est capable de consolider les intérêts des forces les plus productives de la Nation à un moment historique précis du développement social et d'incarner dans sa personne les positions morales, politiques et socio-écono­miques de ces forces et, ainsi, sous sa responsabilité personnelle en tant que personalité charismatique, de jeter les fonde­ments d'une nouvelle société, représentant un progrès historique.

 

Le but principal en politique intérieure que devrait s'assigner tout césarisme russe serait de préparer et de convoquer une re­présentation de tous les “états” de la nation, en somme une Diète nationale, qui, en vertu des traditions du droit russe, est le seul organe plénipotentiaire qui peut exprimer la volonté nationale génératrice d'histoire. Cette Diète nationale détient aussi le droit préalable de déterminer la structure générale de l'Etat russe et de réclamer l'intronisation de l'Empereur. La Diète natio­nale est ainsi en mesure de légitimer la restauration de l'Empire et, s'il le faut, de constituer un régime préliminaire constitué d'une dictature de type césarien (Jules César avait reçu les pleins pouvoirs du Sénat romain qui avait accepté et reconnu offi­ciellement sa légitimité).

 

Toute restauration cohérente de l'Empire, au sens traditionnel, métaphysique et politique du terme, n'est possible en Russie, à mes yeux, que si l'on accroît le rôle socio-politique de l'armée et de l'Eglise, mais aussi si l'on consolide l'autorité des juges. Car ce sont précisément les juges (et en premier lieu les juges à l'échelon le plus élevé de la hiérarchie et de la magistrature impériales) qui pourront jouer un rôle médiateur important dans la future restructuration totale de la société russe, en travail­lant à créer des institutions juridiques stables. D'abord parce que cette valorisation du rôle des juges correspond à la tradition historique russe, à l'essence même de l'Etat russe (par exemple: dans la Russie impériale, le Sénat était surtout l'instance juridique suprême, disposant de pleins-pouvoirs étendus et normatifs, dans le même esprit que le droit prétorien romain). Ensuite, cette revalorisation du rôle des juges constitue également la réponse appropriée à l'état déliquescent de la société russe actuelle, où règne un nihilisme juridique absolu. Ce phénomène social catastrophique ne peut se combattre que s'il existe au sein de l'Etat une caste influente de juristes professionnels, disposant de pouvoirs étendus.

 

Lorsqu'on évoque une société reposant sur le droit  —ce qui est d'autant plus pertinent lorsque l'on se situe dans le contexte général d'un Empire—  on ne doit pas oublier que tant l'Europe continentale que la Russie sont héritières des traditions du droit romain, tant sur le plan du droit civil que du droit public. Lorsque nous parlons dans la perspective d'une coopération globale entre Européens et Russes, nous ne pouvons évidemment pas laisser les dimensions juridiques en dehors de notre champ d'attention. Le droit romain, dans sa version justinienne, a jeté les fondements de l'impérialité allemande et de l'impérialité russe. C'est donc cet héritage commun aux peuples impériaux germanique et slave qui devra garantir une coopération har­monieuse et durable, par la création d'un espace juridique et impérial unitaire et grand-continental. En plus de cet héri­tage juridique romain, Allemands et Russes partage un autre leg, celui de la théologie impériale. A ce propos, j'aimerai termi­ner en citant un extrait du débat qu'avaient animé le Dr. Reinhold Oberlercher et quelques-uns de ses amis:

OBERLERCHER: «Dans le concept de Reich, le processus de sécularisation n'est jamais véritablement arrivé à ses fins: le Reich demeure une catégorie politico-théologique. Dans la notion de Reich, l'au-delà et l'en-deçà sont encore étroitement liés». Lothar PENZ: «Cela veut donc dire que nous devons retourner au Concile de Nicée!» (approbation générale) (4).

 

Je pense aussi que le Concile de Nicée a effectivement jeté les bases véritables d'une théologie impériale, même si, à l'Ouest et à l'Est celle-ci a été interprétée différemment sur les plans théorique et liturgique. Il n'en demeure pas moins vrai que le lien subtil entre au-delà et en-deçà demeure présent dans l'existence de l'Empire (du Reich) comme un mystère déterminé par Dieu.

 

Vladimir WIEDEMANN.

(texte remis lors de la “Freideutsche Sommeruniversität” en août 1995; également paru dans la revue berlinoise Sleipnir, n°5/95; trad. franç. : Robert Steuckers).

La réinformation, bouclier de l'esprit contre la tyrannie médiatique

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La réinformation, bouclier de l'esprit contre la tyrannie médiatique

Ex: http://www.polemia.com

Journée d’étude sur la réinformation, organisée le 25 octobre 2008 par la Fondation Polémia Présentation de la journée par Françoise Monestier

Depuis des années, la France, le continent européen mais aussi le monde étatsunien vivent sous l’emprise de la tyrannie médiatique. Cette dernière  impose quotidiennement dans les grand journaux, sur les chaînes de télévision et dans les radios, mais aussi sur la Toile, son idéologie, ses préjugés récurrents et sa vision déformée de la réalité.

Comme le phénomène de réfraction de la lumière décrit par les physiciens, celui de la réfraction de l’information existe bel et bien. En effet, avant de parvenir aux yeux ou aux oreilles du lecteur, du téléspectateur ou de l’auditeur, un fait brut est traité par des professionnels de l’information  qui imposent leur credo en diffusant l’information.

Citons pêle-mêle, dans les méthodes de présentation des faits le propre tempo du journaliste, sa grille d’analyse idéologique presque toujours dans l’air du temps (antiracisme, repentance, mondialisation, rupture avec la tradition) mais aussi l’emploi d’un vocabulaire en adéquation avec le politiquement correct. Et n’oublions pas les intérêts corporatistes, électoraux ou bassement publicitaires défendus par les médias dominants.

Autant de raisons, donc, pour défendre, face à cette domination d’une information volontairement orientée,  le concept de réinformation qui remet l’actualité dans une autre perspective en évitant ainsi les innombrables chausse-trappes du politiquement correct.

Travail de re-traitement de l’actualité permettant d’apprécier chaque fait au plus près de sa juste valeur, la réinformation consiste tout d’abord à mener un travail de sélection de l’information.

Qu’est-ce qu’un événement ?  Un fait dont les médias ont choisi de parler. Mais pour quelle raison et en fonction de quels intérêts ont-ils précisément mis en valeur, ou au contraire, occulté tel ou tel événement ?

La deuxième action de la réinformation doit conduire à rechercher et  à découvrir la face cachée des événements. Par exemple, l’analyse détaillée d’un résultat électoral, l’identité réelle des délinquants (s’agissant d’un fait divers) en disent souvent plus qu’un long discours. Mais tout cela n’est rien sans une réflexion menée sur le classement et la hiérarchie des informations : pourquoi tel ou tel événement est-il monté en épingle simultanément à la Une des hebdos et à l’ouverture du « 20 heures » ? Pourquoi s’acharne-t-on, souvent à la veille d’une consultation électorale d’importance, à passer en boucle tel ou tel événement ou à cacher volontairement tel ou tel autre qui serait susceptible de modifier le choix des électeurs ?

A ces différentes démarches s’ajoute la mise en perspective des événements  afin de faire apparaître, dans tel ou tel décryptage de l’actualité, les faits occultés, mis de côté ou caricaturés.

A l’heure où l’image est souvent plus parlante que le texte, à l’heure où la télévision impose son rythme, le bon réinformateur doit savoir ce que montre ou ce que cache une image. Les techniques pour influencer l’opinion sont simples. Le cadrage de l’image est le plus couramment utilisé : un plan étroit donne facilement une impression de foule, un plan large laisse une impression de vide. Des méthodes pas très différentes, finalement, des opérations de détournement de photos couramment pratiquées en Chine communiste ou en Union soviétique dans les années 1950 quand un apparatchik avait cessé de plaire… ou de vivre.

Autre démarche d’une réinformation efficace, c’est l’analyse du vocabulaire employé par les médias dominants, un vocabulaire piégé et truffé de mots trompeurs, de néologismes, de mots subliminaux et autres mots tabous ou sidérants destinés, en fait, à paralyser les défenses immunitaires ou, au contraire, à réveiller les instincts grégaires. Exemple : « Dans les banlieues sensibles de notre pays, les jeunes ont respecté la tradition de la Saint-Sylvestre et se sont livrés à quelques violences urbaines en brûlant des voitures en compagnie de sans-papiers. Ces incidents ont  suscité des propos  nauséabonds tenus par une poignée d’homophobes racistes et xénophobes. Réaction unanime de rejet de la classe politique, des associations homosexuelles et du monde citoyen. » Fermez le ban ! Enfin, seuls le croisement de l’information et la multiplication des éclairages, lecture croisée par exemple de la presse régionale, nationale et étrangère ou consultation de sites Internet « libres » permettent une plus complète appréciation des faits. Ce rapide passage en revue des différentes démarches nécessaires à une bonne réinformation ont conduit les responsables de Polémia à organiser cette Journée de la réinformation autour de quatre principaux axes :

1/ Un approfondissement nécessaire de ce concept de réinformation, notion nouvelle dans notre famille de pensée et qui a vu sa première concrétisation dans la mise en place du Bulletin de réinformation, sur Radio Courtoisie. C’est la raison pour laquelle les différents orateurs présents ont choisi  de mettre l’accent  sur les points suivants :

– La définition de l’évènement, avec Grégoire Gambier ;
– La bataille du vocabulaire avec décodage de la Novlangue, par Michel Geoffroy ;
– Comment échapper aux emballements médiatiques, par René Schleiter ;
– Le respect de la langue française : l’exigence de la forme au service de la rigueur du fond, par Anne Dufresne ;
– L’information équitable, par Jean Pierre Fabre-Bernadac.

Par ailleurs, deux tables rondes consacrées aux thèmes des blogs comme outils de la réinformation et aux techniques de la réinformation permettront à chacun de participer au débat général. Nous avons choisi, en invitant Javier Ruiz Portella de donner la parole à un ami espagnol qui, de l’autre côté des Pyrénées, mène un combat identique pour la bataille des idées.

Enfin, Jean-Yves Le Gallou conclura les travaux de notre journée par une intervention sur le thème d’ »Un gramscisme technologique ».

2/ Cette journée de la réinformation doit être aussi pour vous l’occasion de mieux faire connaître autour de vous ce nouveau concept en diffusant d’une part ces travaux qui seront bientôt publiés, en communiquant ensuite les références du site POLEMIA entièrement renouvelé dans sa forme, enfin en faisant écouter à vos proches et à vos amis le Bulletin de réinformation diffusé cinq jours par semaine sur Radio Courtoisie.

3/ Nous devons également, au cours de cette réunion, trouver de nouveaux moyens d’application de ce concept et cela aussi bien dans notre vie quotidienne, où nous sommes tous confrontés à une désinformation permanente ainsi qu’à un travestissement de la réalité, que dans le domaine économique, littéraire ou spirituel. 

4/ Enfin, et votre présence est là pour le prouver, ces premières rencontres de la réinformation feront date dans la volonté que nous avons de réunir toutes celles et tous ceux qui, à des titres divers, entendent mener le bon combat en défendant la liberté de l’esprit et en offrant à tous de nouveaux moyens et de nouvelles clefs pour penser librement sans l’emprise de la tyrannie médiatique des imposteurs du politiquement correct.

 

Françoise Monestier

mercredi, 12 novembre 2008

Obamania: nero, musulmano, socialista?

 

Obamania…

 

Nero, Musulmano, Socialista?

 

Ex: http://www.mirorenzaglia.org/

Dammi tre parole. No, non “sole, cuore, amore”. Dammi le tre parole che hanno dominato la campagna elettorale Usa: “nero, musulmano, socialista“. Tre spettri, tre fantasmi che abitano la perenne cattiva coscienza di quel gigante paranoico che è lo (pseudo)impero statunitense. Tre accuse rivolte al nuovo messia a stelle e strisce. Accuse per il momento rispedite al mittente dai milioni di americani recatisi alle urne con fervido entusiasmo anche grazie alla perenne impresentabilità degli esponenti repubblicani. Accuse respinte, quindi. Eppure c’è da credere che i tre macigni peseranno non poco sulla nuova amministrazione a stelle e strisce.

 

 

Cominciamo dall’”abbronzatura”. Ecco, qui la malafede del pensiero dominante esce completamente allo scoperto. Ancora nessuno l’ha detto, quindi lo faccio io: sostenere un candidato esclusivamente in virtù del colore della sua pelle è, semplicemente, razzismo. E’ razzismo, ci hanno sempre detto, l’articolazione di tre concetti: a) l’idea di razza ha realtà definita, concreta, sostanziale; b) tale concetto è totalizzante nel definire l’essenza di singoli e gruppi umani; c) da tale appartenenza si possono desumere giudizi morali. Ora, sarà abbastanza semplice constatare come l’opinione pubblica mondiale sia caduta in ognuno di questi tre momenti dialettici nel giudicare la formidabile ascesa del buon Barack. Che è nero, quindi buono. Chissà perché - misteri del politicamente corretto - la cosa non ha funzionato con Condoleeza Rice. Non precisamente una svedese,eppure, di fatto, colei che ha mosso i fili della pur universalmente detestata politica estera statunitense nell’era Bush. Beninteso, non ho nessuna simpatia per l’egemonia Wasp e ho sempre trovato affascinante, se è per questo, un personaggio come Malcom X. Ma Obama non è Malcom X.

 

 

Politica estera, si diceva. Le immagini di Barack Hussein Obama con il turbante hanno smosso l’opinione pubblica americana in un momento in cui la crisi finanziaria e l’imbarazzante Sarah Palin non avevano ancora definitivamente compromesso le speranze dei repubblicani di restare alla Casa Bianca. Urgeva - ed urge - mostrare continuità in politica estera. La prima nomina del presidente eletto, in questo senso, lascia poco spazio all’immaginazione. Il nuovo chief of staff (capo di gabinetto) sarà infatti Rahm Emanuel. Uno, per capirci, che aveva il padre nell’Irgun, il gruppo paramilitare che mostrò particolare vivacità a Der Yassin. Da Tel Aviv è presto giunto un sospiro di sollievo: “E’ il nostro uomo alla Casa Bianca”, hanno esclamato i media israeliani. Quanto al vicepresidente eletto, Joe Biden, sappiamo che durante la guerra in Bosnia chiese con forza misure in favore dei pupilli di Washington, ovvero i musulmani bosniaci, dalla fine dell’embargo sulle armi ai raid aerei della Nato alle azioni giudiziarie contro i crimini di guerra. Per il resto dello staff si parla di uomini del giro Kennedy (sì, quello che rase al suolo il Vietnam) e Clinton (sì, quello che fu autore della prima aggressione all’Europa dal 1945 ai danni della Serbia). E lui, il buon Obama? Il primo agosto scorso ha dichiarato: “Noi porteremo avanti una guerra che deve essere vinta. Il primo passo è quello di lasciare il lasciare il campo di battaglia sbagliato in Iraq per spostarci in quello giusto, in Afghanistan e Pakistan. Voglio essere chiaro: su quelle montagne si nascondono i terroristi che hanno ucciso tremila americani e pianificano di colpire ancora. Se abbiamo concrete informazioni d’intelligence su obiettivi terroristici di alto valore e il presidente Musharraf non agisce, lo faremo noi”. Illuminanti, poi, le sue parole a proposito della Russia: «Dobbiamo fornire sostegno morale alla Polonia, all’Estonia e alla Lituana e a tutte le nazioni dell’ex blocco sovietico. Ma dobbiamo anche fornire a questi Paesi un sostegno economico e finanziario per aiutarli a ricostruire le loro economie». Polonia, Estonia, Lituania. Obiettivo: accerchiare lo zar.

 

 

Insomma: tutto cambia, nulla cambia. O forse no, forse qualche cambiamento ci sarà davvero. Stavolta le guerre saranno umanitarie. Con Obama torna a reclamare i suoi diritti il cosiddetto soft power, l’arma mediatico-culturale. Obama significa: rilancio del sogno americano, nuovo inizio per un’egemonia culturale planetaria che sembrava persa. Con la nuova amministrazione ritorna il multilateralismo di facciata per assicurare l’unilateralismo di fatto. Con la sua politica goffa e autistica, Bush aveva aperto la strada ad una riconsiderazione del ruolo degli Usa nel mondo da parte del resto delle nazioni. Con Barack il bello si torna al passato. Con Barack il buono torna la missione di civiltà della guida morale del globo. Con Barack lo sportivo anche i B52 diventano cool. Oh yeah!

 

 

Ma, almeno, il nuovo Martin Luther King sarà “socialista”? Questa, in effetti, fu l’accusa di “Joe l’idraulico”. Intendiamoci: in America “socialismo” non indica quella miscela di Marx e Sorel, scioperi e sindacalismo che conosciamo in Europa. Negli Usa, un ospedale pubblico decente è già socialismo. Roba che fa accapponare la pelle a ogni buon americano. Quanto a Obama, è facile prevedere che, come ogni inquilino della Casa Bianca che si rispetti, suonerà la musica prevista da chi paga l’orchestra. Che, secondo dati diffusi da Peacereporter, ha ricevuto ingenti sovvenzioni da, indovinate un po’: la Goldman Sachs. Proprio loro, sempre i soliti. Obama, in particolare, ha preso - tramite donazioni personali, mai aziendali - 874 mila dollari dalla Goldman Sachs (che a McCain ha dato solo 228 mila dollari), 581 mila dalla JPMorgan Chase (a McCain solo 215 mila), altri 581 mila dalla Citigroup (a McCain solo 296 mila), 454 mila dall’Unione Banche Svizzere (a McCain solo 147 mila) e 425 mila dalla Morgan Stanley (a McCain solo 262 mila). Le banche hanno scelto, quindi. Chissà, magari stavolta è la decisione giusta anche per i popoli.

 

 

Sarebbe la prima volta.

 

 

Adriano Scianca

samedi, 08 novembre 2008

Mircea Eliade et la Garde de Fer

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Mircea Eliade et la Garde de Fer

 

par Giovanni MONASTRA

 

Analyse:

Claudio MUTTI, Mircea Eliade e la Guardia di Ferro,  Ed. All'Insegna del Veltro, Parma, 1989, 57 p., lire 8.000.

 

Au-delà des mythes de signes contraires qui cir­culent sur la Garde de Fer, au-delà des apologies ou des démonisations, on peut affirmer que le mou­vement de Codreanu était profondément lié à la culture et à l'âme de la Roumanie; tentant de se mettre au diapason de cette culture et de cette â­me, d'en épouser toute la complexité, cherchant à s'i­dentifier à elles, le mouvement de Codreanu lut­tait pour faire sortir la nation roumaine de son é­tat de décadence, de ces conditions d'existence ju­gées inférieures et propres aux pays balka­ni­ques marqués par l'esprit levantin. La Roumanie était sujette aux influences extérieures les plus dis­parates, qui aliénaient ses racines les plus an­ciennes, niées purement et simplement par une cer­taine culture de tendance «illuministe» qui s'in­crustait dans une société roumaine aux ré­fle­xes largement ruraux et intacts. L'action de la Gar­de de Fer, dans cette perspective, apparaît com­me une entreprise titanesque, parfois velléi­tai­re, vu la disproportion entre les forces en pré­sen­ce (les ennemis de la Garde de Fer détenaient le pouvoir absolu en Roumanie). Les légionnaires voulaient faire renaître leur peuple en très peu de temps, par le biais d'un activisme radical, portant sur de multiples niveaux: existentiel, éthique, spi­ri­tuel, où la politique n'était, finalement, qu'un ins­trument de surface, utilisé par une stratégie d'u­ne ampleur et d'une épaisseur bien plus vastes et profondes.

 

Dans les faits, la plupart des militants du mouve­ment s'exprimaient dans un style volontariste, en­tendaient témoigner de leur foi, faisaient montre d'un activisme fébrile, parfois aveuglé­ment a­gres­sif: lumières et ombres se superposent inévi­ta­blement dans le phénomène légionnaire. Cepen­dant, la force de ces militants profondé­ment sin­cè­res a attiré la sympathie des intellec­tuels atta­chés à la patrie roumaine, à sa culture nationale et populaire, à sa substance ethnique; parmi ces in­tel­lectuels: Mircea Eliade, un jeune chercheur, spé­cialisé dans l'histoire des religions et du fol­klore.

 

Stefan Viziru, est-il Mircea Eliade?

 

Récemment, la publication posthume en français et en anglais d'une partie des journaux d'Eliade a jeté une lumière nouvelle sur cette période et sur l'attitude du grand historien des religions. Clau­dio Mutti a analysé ces journaux, offrant à ses lecteurs, condensées en peu de pages, de nom­breu­ses informations inédites en Italie. Ce travail était nécessaire parce qu'en effet nous avons tou­jours été confrontés à une sorte de «trou noir» dans la vie d'Eliade, sciemment occulté par l'au­teur du Traité d'histoire des religions. Mutti, pour sa part, croit discerner les indices d'un en­ga­ge­ment dans l'un des romans d'Eliade, La forêt in­ter­dite,  aux accents largement autobiogra­phi­ques, qui se limite toutefois aux années 1936-1948.

 

Le protagoniste principal de l'intrigue du roman, Stefan Viziru, pourrait, d'après Mutti, dissimuler Eliade lui-même, mais sous un aspect qui, au pre­mier abord, n'est pas du tout crédible. Viziru, en effet, se manifeste dans le roman comme un an­ti­fasciste démocratique, bien éloigné des posi­tions de la Garde de Fer, mais qui est néanmoins arrêté pendant la répression anti-gardiste de 1938, parce qu'il a donné l'hospitalité à un légionnaire. Dans un tel contexte, Mutti estime très significatif le ju­gement exprimé par Viziru quand il s'adresse à un autre prisonnier de son camp d'internement: «Vous et votre mouvement accordez une trop gran­de importance à l'histoire, aux événements qui se passent autour de nous. La vie ne mérite­rait pas d'être vécue si, pour nous, hommes mo­dernes, elle ne se réduisait exclusivement qu'à l'histoire que nous faisons nous-mêmes. L'his­toi­re se déroule exclusivement dans le Temps, et, avec tout ce qu'il a de meilleur en lui, l'homme cherche à s'opposer au Temps [...]. C'est pour cette raison que je préfère la démocra­tie, parce qu'elle est anti-historique, je veux dire par là qu'el­le propose un idéal qui, dans une cer­taine me­sure, est abstrait, qui s'oppose au mo­ment de l'histoire». Sous bien des aspects, nous retrou­vons, dans ce jugement de Viziru, tout Eliade, a­vec son refus d'un devenir linéaire, ab­solu, quan­titatif, totalisant.

 

Justement, Mutti nie que l'identification Viziru-Eliade puisse être poussée au-delà d'une certaine limite. Pour appréhender la position réelle d'Elia­de vis-à-vis de la Garde de Fer  —on a af­firmé qu'il lui avait été totalement étranger—   il faut li­re le volume posthume de ses mémoires, concer­nant les années 1937-1960, où Eliade dé­ment ef­fectivement que le héros central de La fo­rêt in­terdite  est son alter ego, tout en donnant d'in­téressantes précisions pour comprendre quelles furent ses positions politiques et idéolo­giques à l'époque. Eliade nous livre en outre d'intéres­san­tes informations sur le climat qui rè­gnait en Rou­manie à la fin des années 30, au moment où le mouvement légionnaire connaissait un véritable triomphe. L'historien des religions nous décrit le sombre tableau des répressions gouvernementales contre la Garde de Fer: le roi et l'élite libérale-con­servatrice au pouvoir cher­chaient, par tous les moyens, à arrêter les progrès du mouvement lé­gion­naire. Pour éviter toute pro­vocation, Co­drea­nu avait choisi la voie de la non-violence, mais le gouvernement, vu l'insuccès électoral des listes qui le soutenaient et vu l'augmentation continue du prestige légionnaire  —comme l'écrit Eliade—  op­te pour le recours à la force: des milliers de mem­bres de la Garde de Fer furent emprisonnés, à la suite de procédures d'une brutalité inouïe, qui semblent propres aux gouvernants roumains de tou­tes tendances, comme l'a prouvé encore l'his­toire récente.

 

Mircea Eliade, assistant

de Nae Ionescu

 

Pendant la répression de 1938, plusieurs intellec­tuels qui avaient adhéré au mouvement de Co­drea­nu furent arrêtés, tandis que le Capitaine était assasiné, la même année, par des sicaires du ré­gime. Parmi les intellectuels embastillés, il y avait Nae Ionescu, un professeur d'université célèbre, dont Eliade était l'assistant. A propos de cette ar­restation, il écrit: «De manière directe ou indi­rec­te, nous étions tous, nous ses disciples et colla­borateurs, solidaires avec les conceptions et les choix politiques du professeur». Cette «syntonie» a duré  —même si Mario Bussagli a dissimulé une divergence de vue précoce entre les deux hom­mes—  car Eliade a prononcé le dis­cours fu­nèbre aux obsèques de son maître en 1940.

 

Au cours de la répression anti-gardiste, Eliade lui-même a été interné dans un camp de concen­tration, mais pour une période assez brève. Il re­fu­sa de signer une abjuration pré-rédigée du mou­ve­ment légionnaire, malgré les fortes pres­sions qui étaient exercées sur les prisonniers (et face aux­quelles un certain nombre d'entre eux cé­daient). Eliade affirme dans ses mémoires: «Je ju­geai qu'il était inconcevable de me dissocier de ma génération en plein milieu de la terreur, quand on poursuivait et persécutait des innocents». Une an­née auparavant, répondant à une question po­sée par le journal légionnaire Buna Vestire,  Elia­de avait déclaré: «Le monde entier se trouve au­jour­d'hui sous le signe de la révolution, mais, tan­dis que d'autres peuples vivent cette révolution au nom de la lutte des classes et du primat de l'é­conomie (communisme) ou de l'Etat (fascisme) ou de la race (hitlérisme), le mouvement légion­naire est né sous le signe de l'Archange Michel et vaincra par la grâce divine [...]. La révolution lé­gionnaire a pour fin suprême la rédemption du peu­ple». Dans cette phrase, transparait une adhé­sion au projet global de la Garde de Fer, qui n'est pas purement épidermique, de même qu'une men­talité bien différente de celle du personnage Stefan Viziru.

 

Après avoir consulté d'autres sources, Mutti sou­tient qu'Eliade a été candidat sur les listes électo­rales du parti de Codreanu et aurait été élu député peu avant la répression de 1938. Cette affirmation nous apparaît étrange, parce que si tel avait été le cas, si, effectivement, Eliade avait occupé un pos­te officiel et public, on l'aurait su depuis long­temps, sans même avoir eu besoin de recou­rir aux informations parues dans des publications jus­qu'ici méconnues et rédigées par des légion­nai­res en exil, publications auxquelles Mutti pou­vait accéder. Parmi les diverses mises au point pré­sentées dans ce petit volume, signalons la par­tie visant à démontrer qu'Eliade était antisémite, ce qui est un mensonge et ne peut servir qu'aux détracteurs fanatiques de sa pensée. Toutes cho­ses prises en considération, le travail de Mutti est équilibré quant au fond, en dépit de certains ex­traits qui idéalisent outrancièrement la Garde de Fer. Nous pouvons considérer que ce livre est une première contribution  —qu'il s'agira d'ap­pro­fondir—  à l'étude d'un segment de la vie d'E­liade, tenue par lui-même dans l'ombre, pour des raisons somme toute bien compréhensibles. D'un segment de vie étroitement lié à l'une des plus tragiques périodes de l'histoire roumaine.

 

Giovanni MONASTRA.

(trad. franç.: Robert Steuckers)

vendredi, 07 novembre 2008

Heeft Joris van Severen invloed van G. Sorel ondergaan?

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Heeft Joris van Severen invloed van Georges Sorel ondergaan?

 

Gevonden op: http://www.jorisvanseveren.org

Piet Tommissen, Ukkel

Dat ik de titel van deze bescheiden bijdrage als een vraag ingekleed heb heeft zo zijn reden. Inderdaad kan ik geen sluitende argumenten aanvoeren om te bevestigen of te ontkennen dat die invloed bestaan heeft. Onlangs omzeilde ik - om het met de woorden te zeggen van de Russische romancier Ivan Turgeniev (1818-1883), één van de aanspraakmakers op het vaderschap van het uit onze woordenschat niet weg te denken begrip ‘nihilisme’ – de kaap van de 80 lentes en op die leeftijd smeedt men liefst geen plannen meer hoe groot de bekoring ook weze. De bijdrage werd daarom geschreven in de hoop dat een jongere vorser zou nagaan of Van Severen al dan niet door Sorel beïnvloed is geworden. Ik ben van mening dat een grondig onderzoek de moeite waard is, temeer daar meteen naar mogelijke invloed zowel van Georges Valois (pseudoniem van Georges Gressent, 1878-1945) als van de ‘Clarté’-beweging kan gespeurd worden.

Wat mij betreft mag iedereen over Ward Hermans (1897-1992), ooit lid van het Verdinaso en vooral bekend geworden als de man van de destijds furore makende documenten van Utrecht (1929), denken wat hij wil. Maar niemand kan ontkennen dat hij zeer belezen en met het geestesleven van zijn tijd vrij goed vertrouwd was. Men denke slechts aan zijn opstellenbundel De Avondland-Idee & Vlaanderen, die zowel qua titel als qua inhoud invloed verraadt van Oswald Spengler (1880-1936).1 Dat opus en een paar andere geschriften van Hermans gelezen hebbende werd mijn nieuwsgierigheid gewekt toen ik in een vergeeld nummer van het maandblad De nieuwe Dag op een artikel van zijn hand stiet.2 Het handelt over de geëngageerde literatuur. Ofschoon het als zodanig een kritische analyse verdient, beperk ik me hier evenwel tot de vaststelling dat tot twee keer toe gewezen wordt op de invloed die Georges Sorel (1847-1922) op Van Severen zou uitgeoefend hebben.

Ik citeer: (a): “Wanneer men het proces maakt van de geëngageerde literatuur, moet men in Vlaanderen onvermijdelijk denken aan een biezonder typisch voorbeeld: dit van Joris van Severen, van de linksgerichte groep ‘Clarté’ via Ter Waarheid, langzaam evoluerend naar rechts onder invloed der filosofie van Sorel en de bellettrie van Maurras. Hier heeft men, in een notendop, heel de tragiek van een strijdend Vlaming, omzeggens van huis uit veroordeeld om op het verkeerde front te sterven. En, totale deernis van deze tragiek, te vallen onder de kogels van een volk, dat hem naar geest en gevoel meer verwant was dan dit van Goethe en Humboldt.”; (b): “Eens inspireerde Sorel het prefascisme. Mussolini komt van daar. En we zegden het reeds: ook van Severen.”3 Er dient bijgezegd dat Hermans een retour van de theorieën van Sorel ontwaarde: “Wie Sorels invloed heeft gekend op de generatie van tussen twee wereldoorlogen, weet maar al te goed wat dit betekent. Het is het geweld in dienst van de gedachte. De gedachte die niet tot werkelijkheid kan worden zonder de daad van het geweld.”4

Wat Hermans over de ontwikkelingsgang van Van Severen schrijft is overigens ook op zijn eigen evolutie en , zoals hij terecht schrijft, op die van heel wat van zijn tijdgenoten van toepassing. Na Wereldoorlog 1 voltrok zich namelijk in West-Europa een proces dat men ideologische inversie zou kunnen noemen: iemand die door de linkse parolen werd aangelokt kon in een latere levensfase naar rechts opschuiven, en omgekeerd.5 Zo is geweten dat Sorel en enkele prominente aanhangers van de Clarté-beweging6 in een volgende fase de zwenking naar rechts hebben voltrokken. 6

Vik Eggermont (°1929) schrijft dat Van Severen zich interesseerde voor leidinggevende figuren van linkse signatuur - hij vernoemt Karl Liebknecht (1871-1919), Rosa Luxemburg (1870-1919)  en Henriette Roland Holst (1869-1952), maar had tevens Gustav Landauer (1870-1919) kunnen vermelden7 - en dat in zijnen hoofde “een zekere wwelwillende en begrijpende belangstelling” t.a.v. het communisme niet kan ontkend worden.8 Mocht dit laatste kloppen, dan is die belangstelling m.i. een rechtstreeks gevolg van de impact van de Clarté-groep. 

Doch niet die ideologische inversie staat hier centraal, wèl de vraag of Sorel Joris van Severen beïnvloed heeft, zoals Hermans suggereert. Het is geen retorische vraag, want Sorels geschriften en ideeën hebben een grote resonantie gehad. Percy Wyndham Lewis (1882-1957), de Engelse avant-gardistische schilder, dichter, essayist en vader van het vorticisme9, getuigde anno 1926 in een toen veel gelezen werk: Sorel is the key to all contem-porary political thought.10 Bijna vijf decennia geleden bevestigde Armin Mohler (1920-2000) deze zienswijze: “Er (sc. Sorel) ist zweifellos derjenige Franzose, der in den verflossenen achzig Jahren den tiefsten geistigen Ein-fluss auf die Welt ausübte - auch wenn dieser Einfluss oft seltsame Umwege ging.”11

Wat Van Severen betreft vindt men de enige indicaties waarover we beschikken in de gedrukt voorliggende ingekorte versie van de licentiaatverhandeling die Luc Pauwels (°1940) anno 1998 aan de KUL verdedigde en die door de jury ad hoc hoog gequoteerd werd: citaten uit Combat en de aanwezigheid in Van Severens bibliotheek van enkele werken van en over Sorel.12 Volstaat zulks om van invloed te mogen gewagen? Ik betwijfel het. Volgens mij is een indicatie nog lang geen bewijs. Er zou moeten worden nagegaan of Sorels interpretatie van het begrip mythe, van de rol van het geweld e.a.m., in voordrachten en/of teksten van Van Severen aantoonbaar is.

Het spreekt vanzelf dat die redenering ook opgaat voor Valois en Clarté. Dankzij L. Pauwels weten we dat Valois tot zijn lievelingsauteurs behoord heeft13, maar is een echo van die belangstelling in Van Severens geschriften terug te vinden? Clarté vertoonde internationale allures en had niet enkel in Belgische Franstalige14 doch evenzeer in Antwerpse middens aanhangers.15 Dixit Hermans vond Van Severen het gelijknamig tijdschrift “sympathiek”.16 Maar andermaal rijst het probleem of het al dan niet bij vrijblijvende curiositeit gebleven is. Afgaande op de bevindingen van Kurt Ravyts (°1968) blijkt zulks niet het geval te zijn geweest.17

Summa summarum: moge een jonge vorser zich over deze boeiende problematiek ontfermen!17 Meer zelfs, moge hij het te bestuderen veld verruimen, door rekening te houden met strekkingen en namen die Rudy Pauwels (°1932) citeert!18

Noten

1 W. Hermans, De Avondland-Idee & Vlaanderen, Turnhout, Drukkerij Lityca, 1927, 117 p., n° 1 in de reeks ‘Vragen van dezen tijd’.

2 (a) W. Hermans, Bestiarium van de literatuur. Een halve eeuw literair-politiek engagement, in: De nieuwe Dag, 3ejg., nr. 11, april 1967, pp. 38-41. De titel is voorzeker ontleend aan deze van een boek uit 1920 vol parodieën (bijna uitsluitend) van de hand van Franz Blei (1871-1942): Das grosse Bestiarium der Literatur (heruit-gave bezorgd door Rolf-Peter Baacke), Hamburg: Europaische Verlagsanstalt, 1995, 418 p.

(b) Over het maandblad, vgl. Nieuwe Encyclopedie van de Vlaamse Beweging, deel 2 = G-Q, p. 2204.

3 W. Hermans, art. cit. (vt 2 punt a), p. 38 resp. p. 40.

4 W. Hermans, art. cit. (vt 2 punt a), p. 39.

5 Voor nadere bijzonderheden, vgl. Jean Pierre Faye (°1925), Langages totalitaires. Critique de la raison! Critique de I’économie narrative, Paris, Hermann, 1972, VIII-771 p. Voor een grondige kritiek van dit opus, vgl. mijn studie J.P. Faye’s critiek van de narratieve economie, pp. 13-6 1 in: P. Tommissen, Anti-totalitair denken in Frankrijk, Brussel: EHSAL, 1984, 155 p., n° 55-56-57 in de reeks ‘Eclectica’.

6 Tijdens Wereldoorlog I werd door Henri Barbusse (1873-1935) en enkele vrienden een internationaal tijdschrift geconcipiëerd en op 22 juli 1916 in de (communistische) krant L’Humanité in het door talrijke literatoren ondertekend manifest ‘Contre la paix injuste’ aangekondigd. Inderdaad verscheen op 11 oktober 1919 het eerste nummer van Clarté. - Bulletin français de l’ Internationale de la pensée. Dit bulletin (of zo men wil: deze krant) moest de plaats ruimen voor een heus tijdschrift met dezelfde naam doch zonder de ondertitel; het werd uitgegeven door Barbusse en Paul Vaillant-Couturier (1892-1937) en verscheen voor het eerst op 19 november 1921 als een ‘revue de critique communiste’. Drie jaar lang ijverden de medewerkers voor een Westerse revolutie volgens het Russisch model en kantten zich tegen de cultuur en de waarden van de Westerse bourgeois. Van 1924 af maakten literaire en artistieke avant-gardegroepen de dienst uit. Clarté hield in december 1927 op te bestaan.

7 L. Pauwels, De ideologische evolutie van Joris van Severen (1894-1940). Een hermeneutische benadering, leper, Studie- en Coördinatiecentrum Joris van Severen, 1999, 272 p., Jaarboek’ 3 van dat centrum; cf. p. 164 en p.2l6.

8 V. Eggermont, Ter Waarheid, aanzet tot een inhoudsanalyse, pp. 23-40 in: Gedenkboek Joris van Severen 1894-1994, Aartselaar: Nationaal Studie- en Documentatie-centrum Joris van Severen, 1994, 352 p.; cf. p. 38.

9 VgI. o.m.: Wyndham Lewis et le vorticisme. Paris, Centre Georges Pompidou. 1982. 188 p., in de reeks ‘Cahiers pour un temps’

10 W. Lewis, The Art of Being Ruled. Santa Rosa, Black Sparrow Press, (1926) 1989 (een door Reed Way Dasenbrock bezorgde voorbeeldige heruitgave), 463 p., cf. p. 119.

11 A. Mohler, Die französische Rechte. Vom Kampf um Frankreichs Ideologienpanzer. München, Isar Verlag, 1958, 86 p., nr 3 in de reeks ‘Konservative Schriften-reihe’; cf. p. 44.

12 L. Pauwels, op. cit. (vt 7), p. 164 en 216.

13 L. Pauwels, op. cit. (vt 7), p. 199 en p 239. Op p. 217 vernemen we voorts dat zich in de bibliotheek 15 werken van Valois bevonden.

14 De spilfiguur was niemand minder dan Paul Colin (1890-1943)! Vgl. o.m. Ernst Leonardy, Die internationale Debatte um den Pazifismus im Rahmen der ‘Clarté’-Bewegung 1919-1921. Beiträge aus Frankreich, Deutschland und Belgien, pp. 155-189 in: E. Leonardy en Hubert Roland (eds.), Deutsch-belgische Beziehungen im kulturellen und literarischen Bereich 1890-1940, Frankfurt a.M., Lang, 1999, 289 p., nr. 36 in de reeks ‘Studien and Dokumente zur Geschichte der Romanischen Literaturen’; cf. pp. 175-179: Paul Colin als Vermittler deutscher Kultur an die Romania und als Propagandist der ‘Clarté’-Bewegung in Deutschland.

15 1k denk o.m. aan het door RogerAvermaete (l893-1988) e.a. in Antwerpen uitgegeven tijdschrift Lumière. Cf. R. Avermaete, L’aventure de ‘Lumière’, Brussel, Arcade, 1969, 187 p.

16 W. Hermans, art. cit. (vt 2 punt a), p. 39.

17 K. Ravyts, Joris van Severen en de avant-garde in de spiegel van ‘Ter Waarheid’ (1921-1924), pp. 45-63-74: 3. De invloed van Paul Colins l’Art Libre.

18 R. Pauwels, Organisch solidarisme. Corporatisme: toen, in deze Nieuwsbrief Joris van Severen, 6e jg., 3e trimester 2002, pp. 15-21 (cf. vooral pp. 18-19).

jeudi, 06 novembre 2008

Lo unico seguro con Obama: nada fundamental cambiara

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De ganar McCain, nada tampoco habría cambiado

Ex: http://www.elmanifiesto.com/


Ni “gran día histórico”, ni “decisivo cambio para Estados Unidos y el mundo”, ni “los votantes abrazan el llamamiento por el cambio”, como titulan todos los periódicos. Nada de ello tiene que ver con la realidad. Otra cosa es que se lo hayan hecho creer a millones de individuos —y que éstos, encantados de la vida, se lo hayan creído.



Lo único seguro con Obama: nada fundamental cambiará

 

Lo mismo, desde luego, habría sucedido si el candidato conservador se hubiera hecho con la victoria. Algo, sin embargo, habría cambiado quizá en este caso: a peor, como cabía temer sobre todo desde que ese personaje denominado Sarah Palin, expresión del más ñoño conservadurismo, fue nombrada candidata a la Vicepresidencia.

¿Qué es lo que podría cambiar alguien que, en su primer discurso después de la victoria, proclama… lo obvio, lo que todos sabemos: que “llega” (pónganse a temblar los globalizados pueblos del planeta) “un nuevo amanecer de liderazgo estadounidense en el mundo”? Un nuevo amanecer en el curso del cual quedará repuesto y recuperado “el sueño americano” (algunas quiebras —reconoce indirectamente— debió, pues, de sufrir…).
El sueño americano, el american dream…: esa pesadilla de un mundo sin alma y sin sentido, sometido al Mercado, dominado por el Dinero: por esa cosa —lo estamos palpando estos días— que resulta ser un puro engendro financiero, es decir…, virtual.
El sueño americano, el american dream…: esa pesadilla aborrecible, esa visión del mundo que es precisamente lo que se trata de combatir.
El sueño americano, el american way of life…: ese modo de vida, de ser y de sentir, que también Europa, ¡ay!, ha acabado haciendo suyo. A nadie sin embargo —no deja de ser un pequeño, aunque fútil consuelo— se le ocurriría llamar a tal cosa el european way of life

La preferencia de nosostros mismos

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La preferencia de nosotros mismos

Alberto Buela (*)

En un artículo memorable El conflicto dólar-oro y la revolución
mundial (1966)  el cura Meinvielle, quien tuvo la rara capacidad de
distinguir las apariencias de la realidad sostuvo que:
" Es el caso actual del dólar como moneda internacional ( en esa época
ya, de facto,  sin respaldo en el oro) que no hace sino absorber la
riqueza de los países, sobre todo los menos desarrollados".
Poco tiempo después su premonición se cumplió pues en agosto de 1971
el presidente Nixon anuló la convertibilidad dólar-oro a 35 dólares la
onza troy tal como lo habían fijado los acuerdos de Bretón Woods en
1944 y comenzó a instalarse "la burbuja financiera y el dinero casino"
que denunciara hace ya once  años el economista chivilcochino Miguel
Angel Gago en el número 13 de la revista Disenso de 1997. Burbuja que
estalló hace un mes con un costo tan millonario en dólares, que se
hace  impensable para una cabeza común. El quiebre de la banca de los
"hermanitos Lehman" fue el disparador.

Pero… ya salieron los tontos de capirote, stultorum infinitus numerus
est, a perorar acerca de cómo salir del entuerto.
Los gobiernos más serios han propuesto un blindaje a sus empresas e
industrias,(Francia y Alemania) otros menos, un mayor control de sus
bancos y financias,(Inglaterra y España) mientras que, los poco
serios, manotean los ahorros privados y todo los que le quede a mano.
Ahora bien, el asunto fundamental, la causa de toda esta crisis
mundial del capitalismo casino ya fue denunciada por el general De
Gaulle en una famosa conferencia del 4 de octubre de 1965 donde
sostuvo que el drenaje de oro de los Estados Unidos iba a terminar con
el sistema monetario internacional y el predominio financiero mundial
del dólar.

El problema consistía, como muy acertadamente lo relata Meinvielle, en
si una economía como la usamericana con un fuerte aparato productor,
pero con reservas en oro que se debilitan en forma constante, puede
predominar sobre una economía como la europea con un fuerte respaldo
en oro pero no con tan fuerte aparato productor.
De hecho ha primado, las pruebas están a la vista,  la impresionante
capacidad productiva sobre la financiera. Lo que ha ocurrido ahora en
el interior del mercado usamericano es que la formidable capacidad
tecnológica, produjo más de lo que se puede adquirir, primó sobre el
poder financiero que se vio obligado a prestar aun en condiciones de
"no devolución" para mantener el consumo y los intereses mayúsculos
que sobre "el consumo inducido" percibía.

Pero… los tontos, siempre los tontos ya salieron a perorar. Así el
ingenuo de Obama propone como solución que los financistas de Wall
Street, los padres de este gran zafarrancho, ganen menos, que resignen
a sus voluminosas ganancias. O nuestro telúrico Daniel Larriqueta en
la Nación diario, se suma al mensaje de un ideólogo del mundialismo
como lo es Jacques Attali, que nos propone un Gobierno Mundial, pues
afirma: "Tenemos finanzas mundiales pero sin un Estado de derecho
mundial".

Es cierto que esta crisis extraordinaria del sistema
económico-financiero internacional está demostrando que existe una
insuficiencia de respuestas políticas y una incapacidad de los agentes
políticos para resolverla. Pero de allí a proponer la creación de un
Estado Mundial es un verdadero despropósito.

El mundo siempre va a ser más grande que los Estados Unidos y sus
intereses, afirmaba hace ya muchos años Carl Schmitt. Lo que puede
llegar a dejarnos esta fenomenal crisis es la enseñanza de que el
mundo no es un universo sino mas bien un pluriverso. Es decir, que
existen muchas y variadas versiones y visiones de lo que sea el mundo.
Hoy, específicamente, Suramérica ya tendría que estar trabajando sobre
una moneda única, al menos para Brasil y Argentina con un respaldo
sobre sus commodities, y así lograr una moneda fuerte y respetada en
el mundo.  En el funcionamiento efectivo del Banco del Sur, dejando de
lado la parodia brasileña de un "banquito" y crear un "banco fuerte"
como propone Venezuela. En la protección de sus industrias
estratégicas y sus fuentes de recursos históricos. En la construcción
de un mercado interno regional de carácter autocentrado con la
estimulación del consumo de sus propios productos. El lema sería el
del viejo economista Aldo Ferrer de: Vivir con lo nuestro.

Y por qué Suramérica y no Argentina sola, porque no alcanza nuestro
volumen de negocios (nuestro PBI anual es de solo 300.000 millones de
dólares, o sea, menos de la mitad de lo que dispuso Estados Unidos
para auxiliar a los "hermanitos Lehman y Cía"). Porque solos no
tenemos ningún peso en el mercado financiero internacional. Porque, en
definitiva, carecemos de agentes políticos y económicos que
privilegien lo nuestro y defiendan nuestro dinero y nuestras cosas.
(tenemos 260.000 millones de dólares de particulares depositados en el
exterior). La única posibilidad de existencia de una burguesía
nacional la teníamos en los contratistas del campo, que con seguridad
son el único sector de la economía que no lleva sus ahorros afuera,
pero, para no ser menos, la castigamos con medio año de incomprensión
y medidas desatinadas.

Hoy las burguesías de Brasil, Israel y España están más preocupadas
por nuestro destino (y sus intereses acá) que nosotros mismos.
En medio de esta catástrofe internacional vivimos en un limbo interior
de problemas caseros y de cabotaje sin lograr la toma de ninguna
medida apropiada a las circunstancias desgraciadas que padecemos y que
están licuando todos los días nuestros ahorros. Como gran genialidad
le preguntamos qué hacer a economistas como Mario Blejer quien primero
es ciudadano israelí, luego norteamericano y finalmente argentino.
Política y culturalmente hemos abandonado el principio de existencia
que es "la sana preferencia de nosotros mismos y de nuestros intereses
primarios".



(*)
alberto.buela@gmail.com

dimanche, 02 novembre 2008

Une biographie de Bertrand de Jouvenel

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Bertrand de Jouvenel 

de Olivier Dard (Auteur)
Présentation de l'éditeur
 
Homme du monde, journaliste brillant, essayiste à succès, théoricien politique, pionnier de l'écologie, républicain militant tenté par le fascisme, Bertrand de Jouvenel (1903-1987) a eu tant de facettes qu'il semble défier l'analyse. C'est dire tout l'intérêt de cette première biographie, pour laquelle Olivier Dard a pu bénéficier - outre ses livres, ses articles et sa correspondance - des 250 Cahiers tenus par Jouvenel tout au long de sa vie. Cette source inédite, qui tient à la fois du document de travail, d'une chronique du siècle et d'un journal intime, permet de démêler l'écheveau d'une vie où se croisent Colette, Emmanuel Berl, Drieu la Rochelle, Otto Abetz, Pierre Mendès France, Jacques Doriot, Adolf Hitler, Raymond Aron et Friedrich von Hayek.

Biographie de l'auteur

Olivier Dard, professeur à l'université Paul-Verlaine de Metz, est un spécialiste reconnu des années 1920-1960 ; il a notamment publié chez Perrin La Synarchie, le mythe du complot permanent et Voyage au cœur de l'OAS.


 

  • Broché: 526 pages
  • Editeur : Librairie Académique Perrin (28 août 2008)
  • Langue : Français
  • ISBN-10: 2262029164
  • ISBN-13: 978-2262029166

Misère des intellectuels de "droite"

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ARCHIVES DE SYNERGIES EUROPEENNES - 1997

Misère des intellectuels de “droite”

 

L'option métapolitique de la “nouvelle droite” est, dans l'espace culturel germanique, une importation française. La ND, regroupée autour d'Alain de Benoist, a tenté d'adapter à la droite la théorie du communiste italien Antonio Gramsci, à un moment de l'évolution de cette droite, moment où elle se demandait quels étaient les véritables ressorts de la société. Point de départ de Gramsci: la société n'est mue que partiellement par les groupes politiques visibles, c'est-à-dire les partis. Plus essentielle est la superstructure idéelle de la société, où sont façonnées valeurs, morale et idées. La tâche des “intellectuels organiques” serait alors de mener un combat culturel au sein même de cette superstructure, combat dont le but ultime ne peut être que la révolution. D'après Gramsci, on ne peut donc révolutionner une société que si l'hégémonie culturelle qui la régente est brisée, c'est-à-dire quand les tenants de cette hégémonie ne croient plus en eux-mêmes. C'est alors que les valeurs révolutionnaires prennent le pas sur les valeurs dominantes fragilisées et deviennent graduellement hégémoniques. Le combat culturel mené par les intellectuels devient dans une telle optique la stratégie principale du “révolutionnement” politique de la société.

 

Dieter Stein, le directeur de l'hebdomadaire néo-conservateur berlinois Junge Freiheit, a analysé très justement cette vision gramscienne de la révolution, qui ne survient que par le biais de la culture; au bout de son analyse, il lance un avertissement: une telle vision de la révolution culturelle pourrait déboucher sur une “political correctness” de droite (cf. JF n°8/97). Si je trouve la critique de Stein pertinente, cela ne veut pas dire que je juge le point de vue de Gramsci incorrect. C'est aujourd'hui précisément que nous constatons que la “superstructure intellectuelle”, c'est-à-dire les médias, a acquis une puissance bien trop considérable, tant et si bien que les hommes politiques ne sont plus que des figurants pour les émissions d'actualité. La puissance qu'ont acquises les émissions de “talkshows” est emblématique et révèle un phénomène inhabituel, soit la “pluralisation totale” de la société mais avec pour corollaire paradoxal la réduction de tout aux idéaux du plus grand nombre, du “brave quidam”, du “Gutmensch” (ndt: ce terme est ironique; il a été forgé par les critiques allemands de la “PC”). C'est cette contradiction qui produit la “political correctness” (PC), qui, lorsqu'elle aura atteint son stade idéal, sera une censure bien installée dans l'intériorité même des citoyens. Cette nouvelle intériorité auto-contrôlée produit un discours mortifère, un discours assassin, qui frapperait abruptement toute personne qui, pour une raison ou une autre, serait déclarée non “politiquement correcte”. Tous ceux qui entendent ignorer les gestes symboliques et rituels de la PC, tous ceux qui ne se sentiraient pas “concernés” par ses gestes et ses agitations, tous ceux qui avanceraient un certain type d'arguments non conventionnels seraient purement et simplement “morts”, du moins au sens figuré.

 

Pourtant, à droite, beaucoup de militants souhaiteraient, eux aussi, l'avènement d'une telle “censure intérieure”. Mais qui serait tout simplement de signe opposé. Ceux qui ne détiennent aucune puissance politique développent souvent des fantasmes de toute-puissance, mais d'une toute-puissance basée sur d'autres critères que ceux maniés par la toute-puissance en place. Quoi d'étonnant, dès lors, que le concept narcotique d'“hégémomie culturelle” ait été importé de France en Allemagne par des groupuscules qui ont voulu, dans un premier temps, divulguer les aspects intéressants de la nouvelle droite française, mais se sont enlisés, finalement, dans la prédication d'une “stratégie rédemptrice” et, pire, ont fini par aller faire de la formation dans des groupuscules néo-nazis interdits.

 

La trajectoire du néo-droitisme gramscien est triste, mais cette tristesse provient de plusieurs causes:

1. Il n'existe pas de “nouvelle droite” unitaire.

2. Si, au départ, les intellectuels de droite se voulant gramsciens ont souhaité l'émergence d'un débat, ils se sont rapidement enlisés dans la recherche d'une “Weltanschauung” idéale.

3. La “Révolution conservatrice” n'est pas pour eux une mine de concepts intéressants pour affronter le monde actuel, mais, plus prosaïquement, l'occasion de répéter à satiété un discours invariable, fait d'invocations stériles.

4. Ces intellectuels de droite se sont créé un petit monde, hermétiquement protégé de l'effervescence du réel.

 

Il n'existe pas “UNE” nouvelle droite. C'est pourtant clair: il suffit de comptabiliser tout ce que l'on vend au public sous cette appelation. Dans ce bric-à-brac, il y a toujours quelque chose de “plus neuf”. Dans les années 60, on disait des nationaux-révolutionnaires allemands qu'ils étaient la “nouvelle droite”. Mais, il n'est pratiquement rien resté de cette école nationale-révolutionnaire. Son espace idéologique était à l'intersection de la gauche et de la droite. Les nationaux-révolutionnaires affirmaient qu'ils n'étaient ni de droite ni de gauche: ils n'ont pas survécu sur la scène politique. Hennig Eichberg, qui, à cette époque, était la tête pensante de cette “nouvelle droite”, se considère aujourd'hui comme un homme de gauche. Beaucoup de nationaux-révolutionnaires de ces années 60 se retrouvent aujourd'hui chez les Republikaner.

 

Quant à la “nouvelle droite” la plus récente, elle a fini par démontrer qu'elle était au fond “conservatrice”, mais elle s'adresse à de plus larges catégories sociales que ses ancêtres de la nouvelle droite de 1968 qui tentaient d'apporter une réponse aux intellectuels de gauche et à la sottise de la vieille droite. Plus typés étaient les néo-droitistes  —quelques personnes et quelques journaux—  qui voulaient et veulent faire de leur nouvelle droite un projet de modernisation de l'extrême-droite. Cette catégorie de “néo-droitistes” reste la plus problématique, car, au fond, elle se borne à sortir de la naphtaline la “pensée anti-démocratique” de l'époque de Weimar (telle que l'a définie Kurt Sontheimer). Par cet exercice, elle veut hisser la pensée de l'extrême-droite à l'excellent niveau et à la belle forme, acquis par la “révolution conservatrice” sous Weimar.

 

A côté de ces “requinqueurs” de vieux corpus, s'est regroupée une autre “nouvelle droite”, composée pour l'essentiel de conservateurs (en Allemagne) ou de nationaux-libéraux et de conservateurs (en Allemagne et en Autriche). Ils ont abordé sans complexe la pensée moderne, ils ont, en ce sens, été conséquents, ont modulé leur action sur ce choix et ont investi les territoires politiques assignés par convention sociale à ces idéologies bourgeoises, bien ancrées et établies. Ces entristes, qui ont pénétré dans les rouages de la CDU, de la CSU ou de l'ÖVP, voire de la FDP ou de la FPÖ, sont de braves citoyens, ils sont tout simplement un petit peu à droite que les autres.

 

Si l'on mélange ces deux courants sous l'appelation commune de “nouvelle droite”, on débouche évidemment dans un beau désordre, sinon dans une aporie intellectuelle. Les “nouvelles droites” ancrées dans les diverses formes d'extrémismes droitiers confondent la volonté de débattre intellectuellement avec la proclamation impavide d'une Weltanschaunng ancienne, dont elles ont la nostalgie. Pour sortir de cette impasse, on recourt généralement à deux stratagèmes, dont on use et on abuse:

- soit on recommence à se référer directement aux racines théologiques du politique, en tentant de formuler un nouveau projet de “théologie politique”, dans le sens où l'entendait Carl Schmitt,

- soit on s'efforce de séculariser ce besoin d'absolu.

Dans ce cas, on se tourne vers d'autres certitudes, des certitudes immanentes, comme le “peuple” (Volk), des certitudes idéalistes, comme cette “science des citoyens d'Empire” de facture hégélienne, plus exactement mi-hégélienne-de-gauche, mi-hégélienne-de-droite, à l'usage de citoyens qui ne vivent plus dans un Reich et ne souhaitent certainement pas y revivre, les plages de Torremolinos ou des Baléares ayant pour eux plus d'attraits... Les multiples expressions de ces exercices para-théologiques ou “hégélisants” varient considérablement: les plus “sortables” ne sont “que” autoritaires, mais, dans la plupart des cas, le mode totalitaire est bien vite accepté, illustré et défendu...

 

C'est dans ces recherches et ces tâtonnements qu'il faut replacer l'engouement pour la “révolution conservatrice” de l'entre-deux-guerres. Soyons clairs et honnêtes: cette “révolution conservatrice” est une mine d'or, elle ne cesse de susciter les intérêts des philosophes et des politologues, à juste titre; il est intéressant d'en étudier tous les aspects si l'on veut connaître l'archéologie de certaines pensées aujourd'hui classées à “droite”, si l'on veut se plonger dans des corpus entièrement différents de l'idéologie dominante actuelle, si l'on veut lire de “mauvais livres” au regard des catégories politiques contemporaines. En pratiquant ainsi une forme de transversalité, indubitablement, on se forme l'esprit, on acquiert un sens critique, on aiguise ses intuitions. La “révolution conservatrice” nous apprend que les hommes de droite n'ont pas toujours été bêtes. Mais, en réceptionnant la “révolution conservatrice” de cette sorte, on ne doit pas non plus oublier qu'elle fut un échec. Ni oublier qu'elle fut, en bon nombre de ses aspects, antidémocratique et partiellement extrémiste. Aujourd'hui, notre regard doit se porter sur elle avec le même sens critique que sur les corpus de gauche de la même époque. Malheureusement, pour beaucoup d'hommes de droite actuels, de militants, cette “révolution conservatrice”, dans ses innombrables variantes, n'est que prétexte à répétitions, à dévotions naïves et bigotes, répétitions et dévotions qui remplacent toute intellectualité autonome ou permettent des exercices pénibles comme réitérer une attitude antidémocratique classique en citant des extraits d'auteurs “révolutionnaires-conservateurs”, pour faire intelligent ou pour donner le change.

 

Le résultat de tout cela est lamentable, car une telle nouvelle droite paraît toujours bien vieille, elle parait truffée de science, elle se gargarise de sa belle Weltanschauung  prête-à-porter, mais elle n'est quasi pas branchée sur la réalité. Car la belle Weltanschauung néo-droitiste n'est qu'une construction intellectuelle consolatrice pour tous ceux qui sont laissés-pour-compte dans la société réellement existante. Les plus lucides d'entre eux savent certes que le “peuple” (Volk) de leur idéologie n'est pas le peuple réel qui circule dans les rues d'Allemagne. Mais ce sont les “autres” qui sont coupables de cette inadéquation. Le peuple devrait correspondre à leur image du peuple: nous n'avons plus affaire là à de la nostalgie, à la nostalgie d'une “hégémonie culturelle” de droite, conservatrice, mais la rage de voir partout l'inadéquation génère subtilement une sorte de totalitarisme, camouflé derrière un verbiage conservateur, qui se veut apaisant, moral et “traditionnel”.

 

Au bout du compte, nos intellectuels de la “nouvelle droite” sont soit des modernisateurs de l'extrémisme, soit des bourgeois à un âge où il n'y a plus de bourgeois classiques, cultivés et conventionnels. Cette alternative, dont les deux termes sont également figés, est le résultat de la ghettoïsation des droites. Elles marinent dans leur jus. Alors que reste-t-il de la “nouvelle droite”?

 

Il reste sans doute quelques intellectuels de droite, qui se posent en anarchistes pour ne pas sombrer dans le dogmatisme, pour ne pas se laisser aveugler par les illusions. La réalité prosaïque, c'est qu'il n'y a dans le monde ni consolation ni rédemption. Mais, justement, ce n'est pas la tâche des intellectuels de droite de proposer de la consolation et d'annoncer une rédemption: au contraire, ils devraient se donner pour seule mission de déconstruire systématiquement toute idéologie de la consolation et de la rédemption. Travail difficile: en effet, c'est la meilleure façon de se faire mal aimer de tous; les uns détestent le “déconstructiviste” parce qu'il ne partage par leur illusion et n'apporte donc pas de quoi l'alimenter, de quoi entretenir la consolation; les autres le détestent tout autant parce qu'ils sont de gauche ou libéraux, qu'ils appartiennent à des espaces politico-philosophiques dans lesquels, forcément, le déconstructiviste n'aimera pas aller mariner: au contraire, il aimera les détricoter avec une égale délectation. Le véritable intellectuel de la nouvelle droite devrait être celui qui d'emblée se définit comme l'homme sans aucune illusion.

 

Nos sociétés souffrent d'une absence de créneau critique. Pourtant, aujourd'hui plus qu'auparavant, le terme “critique” est le vocable le plus prisé des hommes de gauche, au point qu'ils identifient les mots “gauche” et “critique”. L'école de Francfort, réservoir idéologique de la gauche, s'est effectivement auto-dénommée “critique”. Mais la gauche ne critique plus, elle accepte le statu quo et gère la crise. Automatiquement, dans un tel contexte, la pratique de la critique incombe alors à la droite. Pire, si un homme de gauche pratique encore la critique, il sera désormais traité de “fasciste” ou de “crypto-fasciste” par ses coreligionnaires (Botho Strauss, même Peter Handke, le cinéaste Fassbinder, le dramaturge Heiner Müller, héritier du théâtre de Brecht).

 

Pour nous, la démarche “critique”, c'est d'affronter les aléas du réel sans s'embarresser de tabous. L'actuelle “political correctness” instaure de nouveaux tabous et aboie son hostilité à l'égard de tout discours, de tout débat, et justifie ces tabous et ces aboiements au nom d'idées de gauche. Forcément, l'homme de droite sera celui qui s'opposera avec énergie à ces tabous et à ces aboiements: il se dira de droite parce que ces tabous et ces aboiements se disent de gauche. Il rejettera la “political correctness” parce qu'elle refuse tout discours et tout débat. Il restaurera le débat par le simple fait de prendre la parole de force, en avançant des arguments de signes nouveaux ou de signes contraires. Cet acte de prise de parole constitue une pluralisation volontaire du discours et place l'homme de droite  —nouveau contestataire radical—  au centre même de la vie sociale en danger de rigidification définitive. Il reconnaît alors que la confrontation des idées n'est possible que dans une société marquée du sceau du pluriel. L'intellectuel de droite prend dès lors position pour un ordre social où règne la liberté et où s'épanouit la diversité. Il défend cette liberté précisément parce que ses idées sont bannies et ostracisées dans une société qui devient de moins en moins plurielle et différenciée. Sa tâche consiste à réfléchir et à chercher. Car celui qui connaît les réponses avant de formuler ses questions, tombe dans le piège du totalitarisme.

 

Que reste-t-il de la “nouvelle droite”? Sans doute un homme de droite qui n'est plus un homme de droite au sens conventionnel du terme. Un homme qui part à l'aventure dans la vie ou dans les épaisses forêts de la pensée, car il sait que rien n'est définitivement sûr, que ce savoir de l'incertitude universelle fait de lui le meilleur critique des conventions figées de la société, mais d'une société dont il connaît les ressorts (organiques), parce qu'il en est issu.

 

Jürgen HATZENBICHLER.

(Correspondant de “Synergies Européennes” en Carinthie, responsable de la chronique politique de Junge Freiheit/Autriche; article paru dans Junge Freiheit, n°16/97; traduction et adaptation françaises de Robert Steuckers).

samedi, 01 novembre 2008

Atlas militaire et stratégique

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Atlas militaire et stratégique :

Menaces, conflits et forces armées dans le monde

de François Heisbourg (Postface), Bruno Tertrais (Auteur), Alexandre Nicolas (Illustrations), Bruno Racine (Préface)
Présentation de l'éditeur
Le 11 septembre 2001 marque-t-il le "retour de la guerre", comme on a coutume de l'entendre? Certes, le nombre de conflits dans le monde a diminué depuis la fin de la guerre froide en 1991, mais avec les débats autour de la prolifération nucléaire, les dangers des armes de destruction massive, la montée en puissance du terrorisme et les guerres d'Afghanistan et d'Irak, les enjeux stratégiques et militaires sont revenus sur le devant de la scène, attisant les inquiétudes, déclenchant des polémiques, voire des crises internationales. La guerre a changé de nature et de forme. Redessinée par la mondialisation, elle s'est transformée, renouvelée, notamment au rythme des évolutions géopolitiques. De nouvelles puissances émergent (Chine, Inde), bouleversant l'équilibre international; d'autres cherchent à rétablir leur influence (Russie). De nouveaux champs de conflictualité s'ouvrent: l'espace, le cyberespace. Les menaces se diversifient, les acteurs se multiplient, les technologies progressent et les conflits "asymétriques", face à des groupes non étatiques, se font désormais de plus en plus nombreux. La guerre d'aujourd'hui n'a plus grand-chose à voir avec celle d'hier. Pour faire face aux nouveaux défis sécuritaires, les politiques de défense et les stratégies, notamment occidentales, doivent donc s'adapter. Pour la première fois, un atlas présente une expertise technique et géopolitique de ces questions, dressant l'état des lieux des forces, décodant les conflits en cours et augurant ceux à venir, tout en fournissant quelques notions essentielles de stratégie. Il aide ainsi à décrypter un monde sous tensions et à mieux lire l'actualité.

Biographie de l'auteur
Bruno Tertrais est maître de recherche à la FRS. Il a dirigé cet ouvrage écrit par 16 spécialistes. La Fondation pour la recherche stratégique (FRS) est un organisme privé, reconnu d'utilité publique depuis 1993, spécialisé dans les questions de sécurité internationale. Bruno Racine, le préfacier, est président de la Bibliothèque nationale de France. Il préside également le conseil d'administration de la FRS. François Heisbourg, le postfacier, est président de l'International Institute for Strategic Studies de Londres et du Centre de politique de sécurité de Genève. Alexandre Nicolas est cartographe-géomaticien indépendant et officier géographe.

  • Broché: 79 pages
  • Editeur : Editions Autrement (1 octobre 2008)
  • Collection : Atlas/Monde
  • Langue : Français
  • ISBN-10: 2746711206
  • ISBN-13: 978-2746711204

jeudi, 23 octobre 2008

Slavoj Zizek : l'homme qui ne croit pas aux vertus du capitalisme et de l'ordre américain

Slavoj Zizek : l’homme qui ne croit pas aux vertus du capitalisme et de l’ordre américain

Sur: www.no-media.info 

Slavoj Zizek : l’homme qui ne croit pas aux vertus du capitalisme et de l’ordre américain

L’Etat néo-conservateur comme Etat autoritaire, l’impasse de la gauche qui oublie le peuple et les ouvriers, le caractère inutile et au fond conservateur des émeutes de banlieue, l’Europe en panne de volonté, le tiers-monde divisé et impuissant, toutes ces questions nous importent au plus haut point. Nous ne sommes pas seuls à penser ce que nous pensons. Explications en lisant Slavoj Zizek. 


Slavoj Zizek est un des penseurs les plus pertinents du monde actuel. Quelques extraits d’un entretien (L’Humanité, 25 septembre 2007) le montrent : « La thèse est qu’il y aurait une idéologie suprême consistant à dire ’’ pas d’idéologie ! ‘’. C’est-à-dire ‘’pas d’autre choix que les règles du capitalisme contemporain ‘’. Les seules questions qui restent dès lors admises à la délibération touchent à la tolérance, au multiculturalisme. Il n’y aurait dans le monde actuel qu’un seul grand choix : le capitalisme à l’américaine, de type libéral, ou bien le capitalisme chinois. Ce serait très triste de vivre dans un monde où le seul choix véritable se résumerait à une telle alternative ». « Je crois qu’il y a comme une complicité entre les États-Unis et le tiers-monde. Il existe entre ces deux pôles un rapport de complémentarité. Le problème, pour le nouvel ordre, n’est pas le tiers-monde, mais le deuxième monde : l’Europe. Il n’y a pas vraiment de potentiel dans le tiers-monde, à cause de la structure sociale concrète. L’exploitation et la pauvreté y sont trop brutales, je ne vois pas de chance de ce côté. C’est la vieille sagesse de Marx : je ne crois malheureusement pas qu’on puisse faire la révolution avec le vraiment pauvre. »

Les émeutes de 2005 dans les banlieues de France ont été « ‘’post-politique’’ parce qu’elles sont le strict envers de notre société post-politique. Quand on joue la carte du post-politique, les émeutes elles-mêmes deviennent post-politiques. C’est cela la véritable tragédie, le prix de l’impossibilité même de formuler une alternative. » « L’hégémonie de l’idéologie capitaliste est telle que même la gauche se tourne vers les questions culturelles, la tolérance…, ce qui signifie, en réalité, qu’elle n’ose même pas imaginer une alternative économique concrète. Ainsi, la thèse implicite de toute la gauche multiculturaliste américaine est que l’exploitation des Mexicains, des Noirs serait fondée sur le racisme, et non sur des rapports de classes. » « Parallèlement à cela, la moindre intervention forte dans l’économie est désormais perçue comme irrationnelle, catastrophique. Il y a comme un pacte selon lequel l’économie aurait ses propres règles dépolitisées, le débat ‘’démocratique’’ se limitant finalement aux questions culturelles. La tragédie réside précisément dans cette dépolitisation radicale de l’économie, conjuguée au glissement vers un état d’exception permanent. » « L’État se retire certes de la sphère sociale. Mais si l’on considère les États-Unis post-11 septembre, jamais dans l’histoire de l’humanité il n’y a eu d’État aussi fort. En termes de budget militaire, de contrôle. L’État joue, dans ce système, un rôle absolument crucial. Même le libéralisme le plus sauvage demande de plus en plus d’État. On assiste en réalité à une explosion de tous les appareils d’État. L’État contemporain néoconservateur est un État extrêmement fort. » « (…) je suis sans aucune utopie pour l’Europe, même s’il existe cette volonté de se situer hors de l’axe États-Unis – Chine qui symbolise deux aspects d’un même système. » « Hardt et Negri sont dans une impasse. D’un côté il y aurait l’empire centralisateur, de l’autre la multitude. Mais ils sont forcés d’admettre, pour le dire simplement, que le capitalisme contemporain fonctionne déjà sur le mode de la multitude, de manière réticulaire. » « Il ne s’agirait donc plus de le combattre [ce système] , mais au contraire de collaborer, de contribuer, pourquoi pas, à son dynamisme. Il y a désormais chez Negri une sorte de célébration de ce capitalisme. » «  Je crois que l’une des causes de la vigueur de l’extrême droite [en Europe] est la réticence de la gauche à se référer directement, désormais, à la classe ouvrière. » « La droite et l’extrême droite sont désormais les seules à parler encore le langage de la mobilisation politique. »

mercredi, 22 octobre 2008

Etat des lieux

ETAT DES LIEUX

« Les petits traîtres de l’ex-Gauche Prolétarienne, les briscards trotskistes métamorphosés en sénateurs fabiusiens, en conseillers du patronnat, en patrons de quotidiens du soir ivres de pouvoir et de Bourse, les anciens membres du Parti Communiste qui squattent les soirées histoire d’Arte et la table de Jacques Chirac ne portent que la marque d’une dévaluation morale. Quant aux parcours inverses, ils sont infiniment plus rares, ayant moins à offrir à ceux qui les empruntent. [...] A partir de l’opération marketing idéologique des "nouveaux philosophes", et plus encore de 1986, l’intelligentsia médiatisée a fait son choix : le dernier cri de la subversion est de chanter le militarisme de marché. Ce sera ensuite jeu d’enfants (destiné à des cerveaux mal irrigués de préférence) d’assimiler anti-totalitarisme et défense de l’Occident, défense de l’Occident et redécouverte des vertus de la "main invisible". [...]

 

Monolithique et libéral, le nouveau propos politique des repentis va ainsi glorifier une modernité philo-américaine en rupture simultanée avec le radicalisme de la gauche et le conservatisme de la droite. "Libéral-libertaire" (l’expression fut employée par Serge July dès 1978), yuppie, bourgeois-bohème, la griffe s’est appliquée à nombre de sous-produits idéologiques. Intellectuellement, il n’en reste qu’un vague souvenir de mauvaise soupe et de gueule de bois, de paillettes et de gros contrats, un théâtre de la pensée zéro qu’auraient animé Yves Montand, Anne Sinclair et Bernard Tapie. Politiquement, l’effet fut plus considérable. "Droits de l’homme" et "libre entreprise", modèle américain et "retard français", charité-spectacle, humanitarisme de guerre, glose gélatineuse sur la "société civile", aversion pour les passions collectives : page après page, émission après émission, à la vieille dialectique sociale et politique se substitua l’opposition des archaïques et des modernes, des sectaires et des ouverts, des nationalistes et des nomades. Livres, articles et reportages ressassèrent l’éloge d’un système économique se targuant de flexibilité, de "révolution" et de métissage. La mise en cause de la légitimité d’un pouvoir fondé sur la propriété fut taxée de parti pris idéologique. Progressivement, il deviendrait presque impossible de penser cet impensable-là. [...] Il fallut aussi lustrer son registre de colères. L’audace fut alors constituée d’indignations, de boycotts, de ruptures qui ne coûtent rien, au contraire : soit parce que ceux contre qui on s’adresse ne disposent d’aucun pouvoir de rétorsion là où on se trouve (les communistes, le "populisme", le Mal, l’extrême droite, les "anti-américains") ; soit parce que les imprécations mondaines ainsi que les effets de scène qu’elles induisent demeurent restrospectives – il s’agit de soutenir de hauts faits d’armes à condition qu’ils restent enfouis dans le passé. »

 


Serge Halimi, mars 2003, préface à la "Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao auRotary" de Guy Hocquenghem, Agone, 2003, p. 10-11, 12, 16-17, 19

jeudi, 16 octobre 2008

La société immédiate

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SYNERGIES EUROPEENNES - Ecole des cadres/Wallonie - Lectures/Octobre 2008
La Société immédiate

Paru le 01/2008 - Ed. Calmann-Lévy, 2008 

Sciences Humaines et Essais 01/2008

La communication a connu deux révolutions : celle née de l’invention de l’imprimerie par Gutenberg en 1456 – qui a mis des siècles à concerner le grand public et fut longtemps au service exclusif des élites, véhiculant d’abord des connaissances et des idées –, et la révolution numérique que nous vivons aujourd’hui, foudroyante, sans contrôle, et qui est surtout un moyen de divertissement et de satisfaction rapide des désirs. Dans cet essai percutant, Pascal Josèphe nous démontre que la révolution numérique contient en germe la ruine de la notion de projet, qui suppose la médiation du temps, et lui substitue le culte de l’immédiateté. La technologie et l’économie raccourcissent en effet le délai entre l’expression des besoins ou des désirs et leur satisfaction. En résulte une discordance des temps, c’est-à-dire une dé-synchronisation des temps individuel et social qui fait exploser les rythmes fondant la vie en collectivité. Soumis comme nous le sommes au bombardement incessant des sollicitations externes, nous ne disposons plus des outils référentiels permettant de faire des choix : ni certitudes (religion, idéologie politique), ni lieu, ni temps pour échanger avec les autres. Et Internet ? objectera-t-on. Comble du paradoxe : plus la communication généralisée est exaltée dans notre société postmoderne, moins sa fonction médiatrice est prise en compte. Nous sommes gavés d’information et affamés de sens. Comment dès lors résister aux innombrables tentations dont nous sommes l’objet ? 
L’avènement de l’ère de l’immédiateté ne risque-t-il pas de nous ramener à des temps anté-civilisés ? s’interroge Pascal Josèphe. « Je veux, je prends », « Je mise, je gagne », « J’ai envie, je consomme. » En d’autres termes, n’est-elle pas en train de réveiller la bête qui sommeille en nous et que dix mille ans de civilisation avaient domestiquée ?

Carl Schmitt: Etat, Nomos et "grands espaces"

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Carl Schmitt: Etat, Nomos et “grands espaces”

 

La maison d'édition berlinoise Duncker & Humblot, qui publie l'essentiel de l'œuvre de Carl Schmitt, a eu le mérite l'an passé d'avoir publié une anthologie d'articles définitionnels fondamentaux du juriste et polito­logue allemand (CS, Staat, Großraum, Nomos - Arbeiten aus den Jahren 1916-1969), magistralement pré­facés par Günter Maschke. Ce fut sans doute, à nos yeux, le nouveau livre le plus important en philoso­phie politique exposé à la Foire de Francfort en octobre 1995. Mais c'est aussi un livre fondamental pour comprendre dans tous ses rouages le monde d'après la Guerre Froide. Günter Maschke, un des plus grands spécialistes allemands de Carl Schmitt, mérite nos éloges pour avoir annoté avec une remar­quable précision tous ces articles et surtout les avoir resitués dans leur vaste contexte. Maschke fournit en effet au lecteur  —à l'étudiant comme à l'érudit—  des commentaires et des analyses très mé­thodiques et très fouillées. Staat, Großraum, Nomos est divisé en quatre parties: 1. Constitution et dicta­ture; 2. Politique et idée; 3. Grand-Espace et Droit des gens et 4. Du Nomos de la Terre. A notre avis, l'essentiel pour notre monde en effervescence depuis la chute du Mur réside dans les deux dernières par­ties.

 

Cette nouvelle anthologie a l'immense mérite de concentrer toute son attention sur un aspect moins connu, mais toutefois déterminant, de la pensée et de l'œuvre de Carl Schmitt: la géopolitique. Notre “Centre de Recherches en Géopolitique” avait jadis déjà mentionné quelques-uns de ces textes fonda­mentaux, mais le vaste ensemble d'articles et d'essais sélectionnés par Maschke permet de jeter, sur cette géopolitique schmittienne, un regard beaucoup plus synoptique.

 

Le “Grand-Espace”

 

Notre Centre a publié depuis 1988 un certain nombre de textes de géopolitique; depuis 1991, nous réflé­chissons intensément sur le nouvel ordre mondial après l'effondrement de l'Union Soviétique. L'ère nou­velle sera très vraisemblablement marquée par la notion de “Grand-Espace”, toutefois dans un sens peut-être différent de celui que lui donnait Carl Schmitt. Commençons notre analyse par une citation de Joseph Chamberlain qui illustre bien l'intention des géopolitologues et de Schmitt lui-même: «L'ère des petites na­tions est révolue depuis longtemps. L'ère des empires est advenue» (1904). Mais l'effondrement de l'URSS nous enseigne que l'ère des empires traditionnels est elle aussi révolue, si l'on considère toutefois que le dernier des empires traditionnels a été l'Union Soviétique. A la place des empires, nous avons dé­sormais les “Grands-Espaces”. Dans son essai Raum und Großraum im Völkerrecht, Schmitt définit clai­rement le concept qu'il entend imposer et vulgariser: «Le “Grand-Espace” est l'aire actuellement en ges­tation, fruit de l'accroissement à l'œuvre à notre époque, où s'exercera la planification, l'organisation et l'activité des hommes; son avènement conduira au dépassement des anciennes constructions juridiques dans les petit-espaces en voie d'isolement et aussi au dépassement des exigences postulées par les systèmes universalistes qui sont liés polairement à ces petits-espaces».

 

Schmitt cite Friedrich Ratzel et montre, en s'appuyant sur ces citations, comment, à chaque génération, l'histoire devient de plus en plus déterminée par les facteurs géographiques et territoriaux. C'est d'autant plus vrai aujourd'hui pour notre génération, car la bipolarité d'après 1945 fait place à une multipolarité, dont on ne connaît pas encore exactement le nombre de protagonistes.

 

Maschke, dans ses commentaires sur l'article intitulé Völkerrechtliche Großraumordnung mit Interventionsverbot für raumfremde Mächte, mentionne à juste titre la théorie de Haushofer qui envisa­geait de publier un Grundbuch des Planeten, un livre universel sur l'organisation territoriale de la planète. La géopolitique, selon Haushofer, ne devait pas servir des desseins belliqueux  —contrairement à ce qu'allèguent une quantité de propagandistes malhonnêtes—  mais préparer à une paix durable et éviter les cataclysmes planétaires du genre de la première guerre mondiale. Ce Grundbuch  haushoférien devait également définir les fondements pour maintenir la vie sur notre planète, c'est-à-dire la fertilité du sol, les ressources minérales, la possibilité de réaliser des récoltes et de pratiquer l'élevage au bénéfice de tous, de conserver l'“habitabilité” de la Terre, etc., afin d'établir une quantité démographique optimale dans cer­tains espaces. Les diverses puissances agissant sur la scène internationale pratiqueraient dès lors des échanges pour éviter les guerres et les chantages économiques. Certes, on peut reprocher à ce Grundbuch de Haushofer, un peu écolo avant la lettre, d'être utopique et irénique, mais force est de cons­tater que ses idées étaient fondamentalement pacifistes et qu'elles ne coïncidaient pas avec les projets agressifs de l'Allemagne nationale-socialiste. Pourtant, Maschke rappelle que Schmitt et Haushofer ne correspondaient apparemment pas et ne s'étaient jamais vus.

 

Cet article sur le völkerrechtliche Großraumordnung... constituaient une tentative d'introduire en Europe une “doctrine de Monroe” au cours de la seconde guerre mondiale. Dans son commentaire, Maschke rap­pelle les thèses d'un géographe américain, Saul Bernard Cohen, qui a eu le mérite de maintenir à flot les idées géopolitiques avant leur retour à l'avant-plan. Le concept cohenien de “région géopolitique”, déve­loppé depuis les années 60 et actualisé aujourd'hui, s'avère pertinent dans le contexte actuel de “fin de millénaire”. Ces idées de “grand-espace” et de “région géopolitique” se retrouvent également chez les deux experts espagnols de droit international, fortement influencés par Schmitt: Camilo Barcia Trelles et Luis Garcia Arias.

 

L'étude de Schmitt Das Meer gegen das Land (La mer contre la terre) de 1941 contient le noyau essentiel du futur livre de Schmitt Land und Meer. Maschke pense que Schmitt a été influencé par la lecture de Vom Kulturreich des Meeres (1924) de Kurt von Boeckmann, et de Vom Kulturreich des Festlandes (1923) de Leo Frobenius.

 

Une recension écrite par Schmitt en 1949 garde toute sa pertinence aujourd'hui, souligne Maschke. Elle s'intitule Maritime Weltpolitik. Schmitt y écrit: «La domination de l'espace aérien et la possession de moyens de destruction modernes pourront à elles seules s'assurer la domination sur la terre et sur la mer. [Par ces moyens techniques], notre planète est encore devenue plus petite. En comparaison avec les structures qu'érige la technique moderne sur la planète, la Tour de Babel apparaît comme une entreprise très modeste. La Mer a perdu sa puissance en tant qu'élément et notre Terre est devenue un aérodrome» (p. 479 de l'édition de Maschke).

 

Quelques années après la seconde guerre mondiale déjà, Schmitt tire la conclusion: dans le futur, le con­trôle de la planète s'exercera par le biais des communications aériennes (et plus tard spatiales); la Terre et la Mer perdront de l'importance. Le nouvel espace  —jeu de mot!—  sera l'espace.

 

Schmitt mentionne l'œuvre de l'Américain Homer Lea (1876-1913) dans sa recension. Lea avait terminé sa carrière comme conseiller militaire de Sun Yat Sen en Chine. Il avait écrit des livres importants, largement oubliés aujourd'hui: The Day of the Saxon (1912) et The Valor of Ignorance (1909). Le polémologue suisse Jean-Jacques Langendorf, ami et complice de Maschke, avait préfacé une réédition allemande de The Day of the Saxon et prépare actuellement une vaste étude sur le écrits militaires et géopolitiques de Lea.

 

Le Nomos

 

Penchons-nous maintenant sur la quatrième partie de cette anthologie, qui commence par la définition que donne Schmitt du “nomos”: «Il est question d'un Nomos de la Terre. Ce qui signifie: je considère la Terre  ­l'astéroïde sur lequel nous vivons—  comme un Tout, comme un globe et je recherche pour elle un ordre et un partage globaux. Le terme grec “nomos”, que j'utilise pour désigner ce partage et cet ordre fondamental, dérive de la même étymologie que le mot allemand “nehmen” (= prendre). Nomos signifie dès lors en première instance, la “prise”. Ensuite, ce terme signifie, le partage et la répartition de la “prise”. Troisièmement, il signifie l'exploitation et l'utilisation de ce que l'on a reçu à la suite du partage, c'est-à-dire la production et la consommation. Prendre, partager, faire paître sont les actes primaires et fonda­mentaux de l'histoire humaine, ce sont les trois actes de la tragédie des origines» (Maschke, p. 518).

 

Dans une étude datant de 1958 et intitulée Die geschichtliche Struktur des Gegensatzes von Ost und West  (= La structure historique de l'opposition entre l'Est et l'Ouest), Schmitt mentionne quelques-unes des théories géopolitiques de base énoncées par Sir Halford John Mackinder. Il se réfère au géographe britannique quand il affirme que l'opposition entre puissances continentales et puissances maritimes constitue la réalité globale de la guerre froide. Quand il commente cette étude, Maschke commet la seule erreur que j'ai pu trouver dans son travail par ailleurs exemplaire. L'“Ile du monde” selon Mackinder est l'Europe + l'Asie + l'Afrique et non pas l'“hémisphère oriental” comme le dit Maschke (p. 546). Celui-ci af­firme également que Mackinder avait été influencé par le géographe allemand Joseph Partsch. Je ne pré­tends pas être un expert dans l'œuvre de Mackinder, mais c'est bien la première fois que je lis cela...

 

Nous avions déjà eu l'occasion de recenser un ouvrage important de Schmitt, Gespräch über den neuen Raum (= Conversation sur le nouvel espace). C'est l'une des contributions les plus pertinentes de Schmitt à la géopolitique depuis 1945. Le message de Schmitt dans ce travail (et dans d'autres), c'est un appel à la constitution de différents “Grands-Espaces”, ce qui semble advenir aujourd'hui, surtout depuis la Guerre du Golfe. La théorie du pluralisme des Grands-Espaces, Schmitt l'a bien exprimée dans un autre texte figurant dans l'anthologie de Maschke: Die Ordnung der Welt nach dem Zweiten Weltkrieg (= l'Ordre du monde après la seconde guerre mondiale). Schmitt y écrivait: «De quelle manière se résoudra la con­tradiction entre le dualisme de la Guerre Froide et le pluralisme des Grands-Espaces...? Le dualisme de la Guerre Froide s'accentuera-t-il ou bien assistera-t-on à la formation d'une série de Grands-Espaces, qui généreront un équilibre dans le monde et, par là même, créeront les conditions premières d'un ordre paci­fique stable?» (Maschke, p. 607).

 

En 1995, nous connaissons la réponse à la question que posait Schmitt en 1962. Le dualisme n'est plus et nous pouvons assister à l'émergence (timide) de Grands-Espaces, qui pointent à l'horizon. Nous ne pouvons toujours pas deviner quelle sera l'issue de ce processus. Des changements surviendront indubi­tablement dans le cours des choses mais nous pouvons d'ores et déjà penser que l'ALENA et l'UE seront deux de ces Grands-Espaces, et ils coopéreront sans doute avec le Japon. Le Lieutenant-Général William E. Odom de l'US Army, aujourd'hui à la retraite, a lancé quelques éléments dans le débat visant à structurer le système qui prendra le relais de celui de la Guerre Froide dans son ouvrage How to Create a True World Order (= Comment créer un véritable Ordre Mondial?; Orbis, Philadelphia, 1995). La Russie, la Chine, l'Inde, le Sud-Est asiatique et le monde musulman pourraient bien devenir des Grands-Espaces autonomes. L'Afrique continuera à végéter dans la misère, sauf peut-être le Nigéria et l'Afrique du Sud. L'attitude agressive croissante de la Chine aura sans doute pour résultat d'avertir les petites puissances d'Asie; elles prépareront dès lors leur défense contre l'impérialisme chinois à venir.

 

Dans la quatrième partie de l'anthologie de Maschke, nous trouvons encore un texte fondamental, Gespräch über den Partisanen (= Conversation sur la figure du partisan). Au départ, il s'agissait d'un dé­bat radiodiffusé en 1960 entre Schmitt et un maoïste allemand, Joachim Schickel. ce débat était bien en­tendu marqué par la grande question de cette époque: l'insurrection croissante au Vietnam. Il n'en de­meure pas moins vrai que la question de la guerilla (ou du Partisan) demeure. Le Law Intensity Warfare (= la guerre à basse intensité) continuera à faire rage sur la surface du monde et influencera les processus politiques. Résultat: le terme de “Guerre civile mondiale” acquerra sans cesse de l'importance (1).

 

Carl Schmitt n'était pas en première instance un géopolitologue. Il était un expert en droit constitutionnel et international. Toutefois, au moment où nous allons aborder le nouveau millénaire, il est temps, me semble-t-il, de remettre sur le métier les approches schmittiennes en matières géopolitiques et géostra­tégiques globales. Même si Schmitt reste une personnalité controversée (à cause des opinions qu'il a émises au début des années 30), il est devenu impossible de l'ignorer quand on élabore aujourd'hui des scénarii pour l'avenir du monde.

 

Theo HARTMAN.

(«State, Nomos and Greater Space. Carl Schmitt on Land, Sea and Space», in Center for Research on Geopolitics (CRG), Special Report no.4, Helsingborg/Sweden, 1996. Adresse: CRG, P.O.Box 1412, S-251.14 Helsingborg/Suède; traduction française: Robert Steuckers).

 

Références du livre de Maschke: Carl SCHMITT, Staat, Großraum, Nomos. Arbeiten aus den Jahren 1916-1969. herausgegeben, mit einem Vorwort und mit Anmerkungen verse­hen von Günter Maschke, Duncker & Humblot, Berlin, 1995.

 

Note:

(1) Pour une analyse complète de na notion de “Guerre civile mondiale”, cf. le manuscrit impublié de Bertil Haggman, directeur du CRG suédois, intitulé Global Civil War - A Terminological and Geopolitical Study, 1995).

Manuel de géopolitique et de géo-économie

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SYNERGIES EUROPEENNES - Ecole des cadres - Wallonie / Lectures - Octobre 2008
Le livre de références pour nos travaux de géopolitique !!
A acquérir d'urgence !!
A lire le plus attentivement: le chapitre "Pourquoi nous combattons?"
Le monde. Manuel de géopolitique et de géoéconomie (sous la direction de Pascal Gauchon)
Pascal Gauchon (avec Elizabeth Crémieu, Olivier David, André de Séguin, Sylvia Delannoy, Eric Duquesnoy, Yves Gervaise, Dominique Hamon, Anne-Sophie Letac, Maxime Lefebvre, Frédéric Munier, Jean-Luc Suissa, Cédric Tellenne, Patrice Touchard), Le monde. Manuel de géopolitique et de géoéconomie, PUF « Major », 2008.
Le monde change. Le monde tourne. Peut-on suivre la marche du monde sans s’y noyer ? Et comment attraper notre sujet ? Par le global change, la démographie, l’urbanisation, le fossé riches/pauvres, le développement durable, la mondialisation ? A vrai dire, nul ne le sait vraiment, comme tant de paris éditoriaux le montrent. Il faut une commande, un angle de vue. Celui qu’impose une année pleine à des bacheliers de prépa commerciales ou sciences-po offre à treize auteurs réunis par P. Gauchon le défi de tout écrire en écrivant l’essentiel, en 914 pages - tout de même - décoffrées en vingt-trois chapitres pour vingt-trois semaines de labeur. Il suffit aussi d’une focale, ici géopolitique et géoéconomique qui fait s’affronter les Etats sur un champ de bataille plus financier et industriel que militaire ou politique, comme le montre le KO soviétique à la fin de la guerre froide. Faut-il voir le monde avec les géoéconomistes comme une terre de rareté et de valeur ou un regard géopolitique qui préfère le pouvoir, la puissance, l’influence ? De cette vaste analyse émergent quatre questions : les grandes entreprises ont-elles remplacé les Etats-nations ? Les réseaux sont-ils plus actifs que les territoires ? Le quantitatif (les ressources énergétiques, agricoles...) a-t-il cédé la place au qualitatif (main d’œuvre bien formée, technologie) ? Enfin, les conflits seront-ils réglés par l’économie ou la guerre ? P. Gauchon conclut une lumineuse introduction : la géoéconomie décrit le monde nouveau-né de la mondialisation tandis que la géopolitique rappelle les héritages dont nous ne sommes pas débarrassés.

Dans ce livre dense - parce qu’entièrement rédigé, on ne lui reprochera donc aucune facilité -, les auteurs travaillent beaucoup sur des chronologies : celles des phénomènes de globalisation ou de repli ; la montée en puissance d’acteurs géopolitiques et géoéconomiques nouveaux avec leurs leviers d’action : forces armées, monnaies et influence. Les enjeux des conflits sont exposés soigneusement comme des lieux d’affrontement : contrôle des hommes, des terres et des territoires, des ressources et, même, de l’environnement. Un tableau du monde unitaire et divisé rassemble, enfin, certaines données éparses par grandes régions. Il est toujours difficile de bâtir une culture générale du monde à des jeunes bacheliers sans rassembler des données en les coupant et les formatant pour les besoins des exercices. Ce haché menu qui aurait pu être préjudiciable à la réflexion n’a pas d’effets secondaires ici : un réel talent éditorial tire les fils de cette vaste toile qui prend une belle forme à la fois encyclopédique et narrative.

De ce livre, on pourrait reprendre des centaines d’argumentations sans jamais les prendre à défaut d’arguments. Ici, on les éprouve uniquement pour le plaisir de confronter ses lectures à celles des auteurs. Ainsi, la première guerre mondiale n’avait jamais été jusqu’ici envisagée comme un accident reformatant une mondialisation. Chez Grataloup, elle était présentée comme une « guerre civile européenne », alors qu’ici elle « réorganise le système monde ». Il faudrait sans doute rediscuter ce que David et Suissa appellent internationalisation, puis mondialisation et, sans doute, rappeler que ces concepts ne seront peut-être plus opératoires dans quelques décennies.

Passionnante est la seconde partie sur les « maîtres du monde ». On y voit cette sourde lutte d’influence entre deux approches conquérantes des lieux et des hommes : l’Etat et l’entreprise transnationale. Des Etats et des entreprises enchâssées dans des idées auxquelles Anne-Sophie Letac consacre un brillant chapitre, rappelant combien fascisme et communisme seraient liés à « l’âge des foules » (G. Le Bon). Les pages sur les religions sont bienvenues dans ce livre de culture générale. L’Islam y déploie ses accointances avec le capitalisme protestant, une idée qu’on ne croise pas tous les jours... Comme on aurait tout aussi bien pu gloser sur l’inexistence territoriale du Tibet et du Vatican et leur magistère moral universaliste à la hauteur des personnalités du lama Tenzin Gyatso et du pape Ratzinger. On aurait pu voir établies de véritables « religions » que sont devenues la science, l’environnement, les jeux et les loisirs dont le tourisme est l’un des moteurs les plus puissants. La progression du droit - notamment international - constitue un autre épisode de la construction de notre monde actuel, en symbiose - ou en contradiction - avec de multiples réseaux alternatifs diasporiques, « ong »-éiques et mafieux.

Ainsi, toute puissance dispose d’armes que les auteurs ont présentées en parlant de « contraintes » (la guerre), d’« achats » (la monnaie) et d’« influence » (le soft power sur lequel la réflexion de F. Munier est très pertinente). Sur le sens des choses qui mènent le monde, on sera d’accord avec l’idée du « contrôle des hommes », permettant de traiter des migrations. Egalement avec l’idée du « contrôle des terres » et la perle qu’est l’aménagement du territoire. Il est curieux que M. Yunus, prix Nobel de la paix, n’ait pas eu sa place dans un chapitre sur tout ce qui échappe à cette soif à tout prix du contrôle. Et, au contraire, qui prend l’humanité telle qu’elle est, pauvre et désireuse de s’extraire de la fatalité. Que seraient nos pays, nos villes, nos organisations internationales sans la sphère associative et non lucrative ? On relèvera une lacune non pas sur le contrôle des mers et océans qui ont progressé - encore que la surveillance des océans, l’évitement des pollutions soit difficile - mais sur le contrôle de l’espace. Les chercheurs de la Fondation pour la recherche stratégique sont moins en phase avec le grand public qu’avec les armées, mais l’économie mondiale ne serait sans doute pas ce qu’elle est sans les satellites. Enfin, quant aux frontières et au contrôle des lieux stratégiques, la réflexion est très géopolitique et le fait qu’on n’y mentionne pas les émeutes de la faim du printemps 2008 signale un caractère mouvant qui a bien été mis en valeur. De belles pages sur la maîtrise des risques posent les balises d’une « écocitoyenneté » pour le moins discutable.

Un dernier bloc affine les analyses précédentes en les confrontant aux situations régionales : la « résistance des lieux » dans le village planétaire, les héritages du monde de la guerre froide, la « grande fracture » entre riches et pauvres. Peut-être là, aurait-on pu glisser une carte des grandes fortunes du monde pour voir émerger des tycoons en Inde, Chine, Egypte, Indonésie, Mexique et Brésil ? Astucieuse conclusion est une « mondialisation en débats » avec « Pro », « Anti » et « Alter » qui appellent sans doute la construction plus intégrée d’un paysage politique mondial et, donc, d’une gouvernance à cette échelle.

Un livre stimulant, très complet, bourré d’idées et de points de vue, jamais bavard. Un exploit dans notre médiasphère envahie par l’incertain, l’à-peu-près, l’éphémère. Parions - sans prendre de grands risques - que cet opus restera longtemps au-dessus du bruit et de la fureur éditoriale ambiante.

Compte rendu : Gilles Fumey

 

URL pour citer cet article: http://www.cafe-geo.net/article.php3?id_article=1348

mercredi, 15 octobre 2008

Racines de la géopolitique

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Racines de la géopolitique, géopolitique et fascisme, retour de la géopolitique

 

Analyse: Claude RAFFESTIN, Dario LOPRENO, Yvan PASTEUR, Géopolitique et histoire, Paris, Payot, 1995, 175 FF.

 

Au cours des années 70, le déclin intellectuel du marxisme et les affrontements internes du monde communiste se sont conjugués pour rendre nécessaire le recours à la géopolitique. A l'évidence, la seule prise en compte des facteurs socio-économiques et idéologiques ne suffisaient à comprendre et interpréter litiges nationalitaires et territoriaux. Les problématiques espace et puissance ne pouvaient plus être ignorées d'où 1e recours à une géographie comprise comme “science des princes et chefs militaires” (Strabon). Professeur de géographie humaine à l'université de Genève, Claude Raffestin ne l'entend pas ainsi. Avec l'aide de deux chercheurs en sciences sociales, il se fait fort de prouver que la géopolitique n'est pas une science ni même un savoir scientifique (1). “Production sociale marquée du sceau de l'historicité”, la géopolitique ne serait qu'une superstructure idéologique légitimant le nationalisme et l'impérialisme de l'Allemagne du XXième siècle commençant. Pour en arriver à cette affirmation abrupte, Claude Raffestin procéde à une démonstration en trois temps.

 

Dans une première partie (“Racines de la géopolitique”), il décrit et explique le rôle d'intermédiaire joué par Friedrich Ratzel (1844-1904) entre une géographie allemande marquée par les philosophies de Herder et Hegel —la géographie est l'élément de base de l'histoire des peuples, des nations, de Etats— et l'œuvre de Rudolf Kjellen (1864-1922), professeur et parlementaire suédois, créateur du néologisme de “géopolitique” en 1916. Héritier de Humboldt et Ritter, F. Ratzel est à l'origine d'une géographie humaine fortement structurée par une vision darwinienne du monde (vision organiciste de l'Etat, individu géographique; thème de la lutte de l'espèce-Etat pour 1'espace). S'il n'est pas indifférent aux problèmes de son temps, l'ensemble de son travail est tourné vers la connaissance de la Terre et des connexions entre les sociétés humaines et leur milieu de vie. Cette géographie, que l'on peut qualifier d'académique, n'est donc pas de la géopolitique. C'est avec Rudolf Kjellen que se développe une géographie active, applicable aux rapports de puissance du moment (cf. L'Etat comme forme de vie, publié en 1916 et traduit l'année suivante en Allemagne) alors même qu'en Grande-Bretagne Halford John Mackinder (1861-1947), en développant et affinant ses thèses exposée dans sa célèbre conférence de 1904, s'inscrit dans la postérité de l'Américain Alfred T. Mahan (1840-1914). La géopolique naît donc avec la premièr guerre mondiale.

 

La seconde partie, "Géopolitique et fascisme", est construite autour de la personne et l'œuvre de Karl Haushofer (1869-1946). C'est à ce général bavarois qu'il revient de continuer la lignée Ratzel-Kjellen en faisant de la géopolitique une science appliquée et opérationnelle. Après avoir tenté de démonter le travail de réhabilitation de Karl Haushofer, Raffestin montre le peu d'impact de ses efforts intellectuels sur le cours des choses (2). La “saisie du monde” qu'il assigne comme but à la géopolitique laisse place à la propagande. D'habiles constructions graphiques “mettent en carte” les ambitions expansionnistes du IIIième Reich et assurent l'endoctrinement des masses. La Zeitschrift für Geopolitik n'en inspire pas moins les géopolitiques franquiste et mussolinienne caractérisées par le décalage entre leur discours, global et impérial, et la réalité des Etats espagnol et italien.

 

La troisième partie, “Le retour de la géopolitique”, porte sur les recompositions de ce discours dans l'après-deuxième guerre mondiale. Une partie beaucoup trop courte pour emporter la conviction du lecteur. Le pragmatisme anglo-saxon, dont font preuve Nicholas J. Spykman (1893-1943) et de ses successeurs, —Robert Strausz-Hupé est le seul qui soit cité!— ne trouve pas grâce aux yeux de Raffestin. Il n'y voit qu'une resucée de la vieille et infâme Geopolitik. Idem pour les publications de l'Institut international de géopolitique, dirigé par Marie-France Garaud, pour les travaux de la revue Hérodote, emmenée par Yves Lacoste, ou encore ceux de sa consœur italienne Limes, dirigée par Michel Korinman et Lucio Caracciolo. A ce stade du livre, on ne prouve plus quoi que ce soit, on anathémise! Raffestin peut conclure: la géopolitique est le “masque” du nationalisme, de l'impérialisme, du racisme. Il en arrive même à renverser ces rapports de déterminant à déterminé puisqu'en visualisant divers litiges territoriaux, “la démarche de la géopolitique serait très proche de celle d'une prophétie autoréalisatrice” (p. 307-308).

 

Cet ouvrage a le mérite d'adresser de justes critiques à ce que l'on appellera le géopolitisme: regard olympien négligeant les échelles infra-continentales, affirmations péremptoires, proclamation de lois, volonté de constituer la géopolitique en un savoir global couronnant l'ensemble des connaissances humaines. Scientiste et déterministe, cette géopolitique est datée. Elle a déjà fait place à une géopolitique définie non plus comme science mais comme savoir scientifique (cf. note n°1), prenant en compte les multiples dimensions d'une situation donnée et les différents niveaux d'analyse spatiale attentive aux “géopolitiques d'en bas” (celles des acteurs infra-étatiques). Modeste, cette géopolitique post-moderne est celle d'une planète caractérisée par la densité des interactions (flux massifs et divers), par l'hétérogénéité des acteurs du système-Monde (le système interétatique est doublé et contourné par un système transnational: firmes, maffias diverses, églises, sectes groupes terroristes...), et l'ambivalence des rapports entre unités politiques (relations de conflit-coopération, disparition des ennemis et par voie de conséquence des amis désignés). Cette géopolitique est celle d'un système-Monde hyper-complexe, multirisques et chaotique (3). Mais ces renouvellements sont tout simplement ignorés par Raffestin. Parce que son objectif est le suivant: disqualifier à nouveau la géopolitique en pratiquant la reductio ad Hitlerum.

 

Louis SOREL.

 

(1) Selon le géopolitologue Yves Lacoste, directeur de la revue Hérodote, 1a géopolitique n'est pas une science ayant vocation à établir des lois mais un savoir scientifique qui combine des outils de connaissance produits par diverses sciences (sciences de matière, sciences du vivant, sciences humaines) en fonction de préoccupations stratégiques. Sur ces questions épistémologiques, cf. «Les géographes, l'action et le politique», Hérodote n° 33-34, 2°/3° trimestre 1984 (numéro double) ainsi que le Dictionnaire de géopolitique publié sous la direction d'Yves Lacoste chez Flammarion en 1993.

 

(2) Cf. la préface de Jean Klein à Karl Haushofer, De la géopolitique, Fayard, 1986. Lire également les pages consacrées par Michel Korinman à Karl Haushofer in Quand l'Allemagne pensait le monde, Fayard, 1990.

 

(3) Cf. Lucien Poirier, La crise des fondements, Economica/Institut de stratégie comparée, 1994.

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